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Artisans, de l’or dans les mains

Au classement de mes activités préférées en voyage, la découverte de l’artisanat a une place de choix sur le podium. N’écoutez pas Fred qui vous dira que c’est ma passion des marchés qui parle. Même s’il est vrai que la visite d’un atelier se finit souvent par un regard doucereux et suppliant pour Fred tandis que j’ai déjà la main dans le portefeuille. Peut on m’en vouloir ? (Question rhétorique, la réponse est non bien sûr). Je ne fais que soutenir les activités locales, c’est presque du micro-crédit. Et puis soyons honnête ! Quand on voit les artisans à l’œuvre, quand on découvre tous ces talents incroyables, on est forcément touché par leur travail. Bien plus que dans une boutique estampillée made in china en tout cas. Il faut faire vivre les traditions. D’autant qu’en pays étranger on découvre des savoir-faire oubliés ou différents, en tout cas exotiques. J’ai déjà évoqué les artisans du papier, de l’argent, du tissage, de la récup, des nouilles…. Petit tour du côté de spécialités non encore mentionnées.

Et pour commencer les fabricants de laque découverts près de Bagan ou, plus qu’une spécialité, c’est une institution.

Première étape : constitution d’un objet…. Tasse, bol, assiette, boite, plateau, meuble etc… Le plus souvent celui-ci est réalisé en bois ou en bambou dont les fines tiges tressées donneront robustesse et souplesse à l’objet, surtout quand on y ajoute du crin de cheval (si si).
Deuxième étape : appliquer les couches de laque, produit qui provient d’un arbre. Quand je demande le nom de l’arbre en question on me répond « laquer tree »… Le bon sens même ! Pour un objet d’excellent qualité il faut compter 14 couches, 7 pour un résultat moins abouti. Et il faut bien entendu laisser sécher chaque couche avant d’en remettre une.
Troisième étape : C’est là qu’’intervient le designer. Celui-ci va graver un dessin ou une répétition de motifs… tout ce que son art jugera bon de coucher sur laque. Le tout avec une sorte de scalpel. Un grand dessin ou une œuvre particulièrement complexe peut lui prendre jusqu’à un mois.
Étape finale : l’objet est confié à de nouvelles mains pour un travail de patience. Il s’agit ici de gratter la laque selon le dessin du designer en vue de l’application de peinture. Traditionnellement seules quatre couleurs étaient utilisées : le rouge, le vert, le jaune et l’orange. On réalise que du bambou à l’œuvre d’art bon nombre d’artisans se sont succédé ! Et que chaque pièce aura demandé beaucoup de temps. Plusieurs mois pour un plateau, un an au moins pour un meuble. On est loin de la fabrication en série mécanisée. Ce qui à mon sens donne encore plus de prix à ces œuvres d’art uniques.

A Pakokku nous découvrons la fabrication du cheeroot ou bama, en d’autres termes du cigare à la birmane. Plusieurs femmes sont à l’ouvrage, réparties en différents groupes. Les unes trient les feuilles qui serviront de feuilles à rouler, écartant les inutilisables. D’autres sont au stand roulage proprement dit. Elles découpent la feuille à rouler pour lui donner la forme idoine, la remplisse de tabac, roule le cigare, fixe la bague, ferme l’extrémité et coupe le cigare à la taille réglementaire à l’aide d’un étalon. Travail de dextérité qui tient presque de l’origami. Chacune roule 500 cigares par jour de 7h à 17h. Leur rapidité est impressionnante. Chaque geste appris et répété à l’infini. Leur mémoire n’est pas dans le cerveau mais dans les mains qui ont intériorisé chaque mouvement, qui travaillent toutes seules, comme par réflexe. Je décide de leur montrer ma façon de faire et me lance dans le roulage d’une cigarette. Succès immédiat. L’atelier entier se réunit pour m’observer. On me défie d’en rouler 500. Coup d’œil sur mon paquet de tabac… je ne suis pas sûr qu’il soit à la hauteur du défi. Mais qu’importe. Challenge accepté ! Je serai graciée au bout de 5. Pour me récompenser on m’offre un bama…

Nouvelle découverte à Mandalay… et des plus fascinantes ! Nous y visitons les ateliers de fabrication de feuilles d’or. Voila donc d’où viennent les innombrables feuilles qui sont pieusement collées par les fidèles et qui donnent par fois aux Bouddhas des airs de Bonhomme Michelin. Là on est dans le physique plus que dans la dentelle. Point de radio en fond sonore ni de gentils papotages. C’est plutôt le concert de percussions. Avec un certain sens du rythme. Car du lingot à la feuille c’est du boulot…
Un morceau d’or est aplati et « étiré » jusqu’à l’obtention d’un ruban. Celui-ci est coupé en petits morceaux placés entre des feuilles de bambou. Deux cents morceaux ainsi emballés font une unité. Cette unité et placée sur une pierre et frappée par un ouvrier à l’aide d’un lourd maillet pendant ½ heure. Les petits carrés d’or sont ainsi encore aplatis : on obtient des morceaux plus grands et plus fins. Chaque morceau est coupé en six et de nouveau empaqueté : un feuille d’or, une feuille de bambou, une feuille d’or… C’est reparti pour ½ h. Puis on recoupe et rebelote. Cette fois c’est parti pour 5h de martelage. A chaque tour trois batteurs se succèdent : les coups du premier chauffent le paquet, ceux du second aplatissent les feuilles, ceux du troisième ont pour effet que les feuilles d’or se décollent facilement des feuilles de bambou.
Imaginez du coup à quoi peut ressemble un atelier. La chaleur, le bruit… Ça doit continuer de taper dans la tête des ouvriers le soir ! Et ils doivent perdre leur poids en eau tous les jours. Ça dégouline sur leurs muscles saillants… Version animée et asiatique des sculptures de dieu grecs.
Les femmes prennent le relais quand la minutie vient remplacer la force brute. Chacune défait le paquets et constitue des petits carrés de la taille réglementaire. Travail de longue haleine, mariage du taureau et de la fourmi.A méditer chaque fois qu’on verra une feuille d’or collée sur un Bouddha !

On peut le dire, tous ces artisans ont littéralement de l’or dans les mains…


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