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Epilogue

Merci à toi, qui que tu sois, qui nous as salués, qui nous as souris, qui es venu engager la conversation, qui nous as donné à manger, qui as étanché notre soif, qui as mis un toit sur nos têtes, qui nous as invité à une fête, qui nous as invité à ton mariage.
Merci à toi qui nous as reçu avec chaleur, nous as accueilli avec simplicité, nous as offert un instant, une journée, une nuit, une semaine.
Merci à toi qui sans le savoir nous a renvoyé à cette question si simple et si essentielle : combien de fois ai-je moi-même spontanément invité un inconnu à ma table, salué sans raison un passant, ouvert ma maison à un étranger ?

Certes on pourrait se trouver des excuses et se dire qu’au Cambodge et au Laos les maisons sont ouvertes sur l’extérieur, les terrasses donnent sur les rues, la vie quotidienne se déroule en plein air et ensemble, mais il me semble bien que la réponse est beaucoup plus simple : l’autre est perçu avec bienveillance, comme quelqu’un qui mérite de l’intérêt, de la sollicitude, de l’attention ; quand avons-nous cessé de poser sur le monde un regard confiant, optimiste et généreux, quand avons-nous commencé imperceptiblement à considérer l’autre comme un source de danger potentiel, de perte de temps, d’ennui ?

Alors « Koptchai Lai Lai » Laos,
« Okhoun Tchareun » Cambodge.

A l’issue de ces quelques mois de pérégrinations dans le sud-est asiatique, notre perception du temps est étrange, paradoxale ; au moment du départ il nous semble nous avoir filé entre les doigts mais tout en même temps, nous avons eu du temps, celui de prendre le temps, celui de perdre du temps aussi, le temps et l’opportunité de rentrer en profondeur dans le voyage, de découvrir vraiment, de rencontrer, de lâcher prise.

Dans quelle mesure ce temps passé a-t-il changé quelque chose ? Dans quelle mesure sommes-nous les mêmes et sommes-nous différents ? Nous qui avons tant reçu, avons-nous seulement donné ? Dans quelle mesure ce voyage a-t-il laissé son empreinte ? Au-delà de l’espoir d’être devenus un peu meilleurs au contact de ces gens qui nous ont donné, sans le savoir, sans y paraître, des leçons de vie, de courage, de bonté, au-delà des lieux et des cultures rencontrés, la parenthèse va-t-elle se refermer avec la fin du voyage, le charme se rompre ?

Nous sommes partis sans certitudes mais avec des images empruntées à d’autres, des rêves, des fantasmes, et ils se sont peu à peu dissipés pour devenir des émotions, des souvenirs, des échanges ; c’est sûr, ce voyage nous a touchés même si l’on ne sait pas encore dans quelle mesure et sans que la question finalement soit importante ; oui il a changé quelque chose, oui nous sommes les mêmes et nous sommes différents, oui ces gens, ces lieux, ces moments ont laissé leur empreinte, et tout est neuf et tout est différent, alors il n’y a pas de fermeture, alors il n’y a pas de parenthèse mais un voyage qui continue de vivre en nous. Chacun vit sa vie comme il peut, comme il veut, où qu’il soit et la découverte et la rencontre d’autres rêves, d’autres valeurs, d’autres priorités, d’autres croyances, d’autres cultures, c’est un peu une bouffée d’oxygène, un coup de pied dans les habitudes, une vue qui s’élargit, des a priori qui tombent, une bulle de certitudes qui éclate, et ça fait du bien, et c’est essentiel ! Le quai imperceptiblement se rapproche, ce même quai de cette même gare, et pourtant, une infinité de petits riens a tout changé et nous voilà autres que ceux qui sont partis. Nous ne sommes peut-être pas plus avancés, nous n’avons peut-être pas compris plus de choses, sûrement même ne savons-nous rien mais au moins savons-nous que nous ne savons rien (comme dirait l’autre).

Le temps est venu de quitter ceux qui ont accompagné et illuminé notre route asiatique pour mieux retrouver ceux qui sont notre lumière du quotidien.

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