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Etape à Battambang

Par solidarité avec Fred, mon corps décide de saboter son bon fonctionnement et me voilà réduite à bénir –je sais c’est triste- la télé de notre chambre qui me permet de supporter un peu mieux ma nuit blanche en tentant de me concentrer sur une autre chose que mes boyaux en feu. Aussi notre fine équipe est-elle composée, le lendemain, non plus d’un mais de deux zombies aussi énergiques que des mollusques. Comme à chaque fois que notre corps se met en grève, nous faisons appel à notre nouveau meilleur ami le tuk tuk, histoire de tenter de faire quelque chose de notre journée sans avoir trop d’efforts à fournir. Nous voilà partis pour un petit tour dans les environs de Battambang. Notre chauffeur se change en chasseur de curiosités et en botaniste expert ; chaque plante et chaque arbre fruitier fait l’objet d’une pause nom/explication/recette de cuisine, et nous marquons des arrêts pour admirer l’unique domaine viticole du pays et ses quelques vignes et nous figer devant un arbre totalement colonisé par des chauves-souris géantes.

Notre promenade nous mène jusqu’au Phnom Sampeau, un relief calcaire dont plusieurs temples ornent le sommet. C’est très lentement que nous en entamons l’ascension, goûtant à chaque pas une vue plus spectaculaire sur les plaines en contrebas. Nous ne parviendrons qu’à mi-chemin de la route qui conduit au sommet ; sitôt sortis des grottes-charniers qui renferment un mémorial contenant les ossements de victimes précipitées par les khmers rouges dans le vide par l’ouverture de la grotte, un orage diluvien, après le roulement de tambour d’usage, fait trembler le ciel et ouvre les vannes de cascades glacées sur nos têtes. Frustrés de manquer la vue du sommet mais aussi soulagés de n’avoir pas à terminer notre ascension rendue pénible par nos corps-boulets, nous descendons retrouver notre chauffeur et nous abriter des cordes qui ont déjà changé la rue en ruisseau boueux pour le plus grand plaisir des enfants qui pataugent et font de la luge au pied de la colline devenue glissante.

Sur la route du retour, le conducteur du tuk tuk marque une pause devant une école : « cette école a été transformée en hôpital sous les khmers rouges » nous confie-t-il, « mais plus qu’un hôpital c’est là que venaient mourir les gens. C’est ici que sont mortes ma mère et deux de mes sœurs et c’est ici que j’ai failli mourir aussi. A l’arrivée des malades, deux types de remèdes étaient proposés selon les symptômes exposés, l’un blanc et l’autre marron. Ils étaient contenus dans des bouteilles de coca et la même seringue était utilisée pour tous. Les médicaments étaient fabriqués à base de plantes par des gens qui n’avaient aucune idée de ce qu’ils faisaient, les médecins, à l’instar de tous ceux qui étaient considérés comme des intellectuels parce qu’ils avaient fait des études , parlaient une autre langue ou portaient des lunettes, ayant systématiquement été éliminés ». Stigmates toujours brûlantes du génocide induit par une dictature fratricide qui a a endeuillé toutes les familles cambodgiennes.

Nous retournons dès le lendemain à Phnom Penh, déçus de ne pas creuser davantage les environs de Battambang mais décidés à nous remettre d’aplomb pour l’arrivée de Dorian et Binouche pour une petite semaine en notre compagnie.

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