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Hsipaw, entre brume et rizières

Partis pour passer deux ou trois jours à Hsipaw nous resterons en fait près d’une semaine. Il faut dire que cette étape a beaucoup à offrir même si Hsipaw est une toute petite ville. Peut-être même parce que Hispaw est une toute petite ville : il est très facile et très rapide de quitter les rues pour emprunter les pistes de la campagne environnante.

A notre arrivée force est de constater que nous sommes bien en hiver. J’ai peut-être eu tort de me moquer des doudounes des passagers du train. L’air est froid le matin et le soir. Et très humide. Ce sont des chapes de brume épaisse qui s’abattent sur la ville et ses environs, dérobant au regard les rizières et les montagnes, couvrant de gris le paysage. Les pistes se perdent dans un brouillard cotonneux. Atmosphère de highlands, de mystère, de magie. Univers parallèle et surréaliste. Nous superposons nos maigres couches tandis que fleurissent autour de nous bonnets, mitaines, écharpes. En milieu de matinée les nuages quittent le sol et s’envolent vers d’autres lieux, le ciel devient bleu, le soleil sort de sa torpeur, les couleurs renaissent. Nos journées sont remplies de balades, de rencontres inattendues et de mets savoureux.

La campagne autour de Hsipaw est on ne peut plus bucolique. Hameaux endormis au bord du fleuve, petits villages, rizières, plantations. Nous voilà bien loin de Mandalay. Nous louons une moto quelques jours pour faciliter nos explorations et les pousser un peu plus loin. Et nous partons à la rencontre des hommes et des buffles. Tous s’activent dans les rizières, mais à des tâches différentes. Hommes et femmes achèvent de récolter le riz et trient les grains en battant l’air avec des éventails en bambou qui font s’envoler les écorces, plus légères. Les buffles mâchouillent là où la récolte est déjà passée en se faisant masser le dos par les pattes d’une multitude d’oiseaux; Le labeur du labour est un souvenir. L’heure est à la tonte et à l’engrais. Plus tard le joug viendra le solliciter de nouveau pour transporter les gros sacs de grains.

Dans les petits villages nous découvrons de nombreux artisans travaillent paisiblement sur le pas de leur porte ou dans leur petite fabrique familiale. Tous nous accueillent gentiment mais comme la conversation est limitée c’est à nous de boucher les trous par l’observation. Nous essayons ainsi de comprendre le processus de fabrication des nouilles, surtout que notre gourmandise est fréquemment en bout de chaîne. Un homme et ses deux enfants pétrissent une pâte qu’ils modèlent en grosses boules. Celles-ci sont ensuite déposées dans ce qui semble un immense wok. Sous des tissus et des couvercles en bambou elles sont cuites à la vapeur de l’eau qui bout sous le wok, chauffée constamment par un feu bien nourri. Elles sont ensuite aplaties et passées dans une machine d’où elles ressortiront sous forme de nouilles qui seront mises à sécher sur des tiges de bambou.
Un curieux monsieur nous laisse venir à sa rencontre alors qu’il est au travail dans son jardin. Il travaille exclusivement avec un matériau de récupération, le pneu usé. Découpé, déformé, clouté, le pneu, comme par un coup de baguette magique (ou de marteau) deviendra seau, corbeille, sandales.

Sur une terrasse un métier à tisser. Une vieille dame nous montre ses réalisations : ce sont les sacs si typiques du Myanmar qui servent de besaces aux hommes et aux femmes et de cartables aux enfants. Une lanière épaisse et une grande poche carrée agrémentée de pompons de chaque côté.
Plus loin c’est un village entier qui semble s’être spécialisé dans la fabrication de briques. Celles-ci s’alignent en paquets, en lignes, en tas… Comme un jeu de dominos géant où un petit coup suffit à faire progressivement s’effondrer l’édifice.

Dans les villages Palaung et Shan que nous atteindrons après cinq heures de marche dans la montagne la spécialité est le sésame et le thé. Les plantations couvrent les flancs des reliefs.Le jaune et le vert dominent. Devant les maisons les feuilles de thé sont mises à sécher en vue de devenir breuvage ou salades.Au gré de nos pérégrinations nous ferons de belles rencontres surprenantes. C’est ainsi qu’au détour d’un chemin aux alentours de Hsipaw nous tombons sur le site de Bagan! En version miniature. C’est en tout cas le nom que le lieu se donne, «little Bagan». Un peu pompeux lorsqu’on a découvert LE Bagan. Quelques stupas délabrées et feuillues concentrées dans un petit périmètre. Pas de comparaison possible mais un joli petit coin.

Au cours d’une promenade à moto nous repérons une jolie vieille bâtisse en bois qui a tout l’air d’être abandonnée. Poussés par la curiosité nous voilà face à une grille. Fred entreprend de pénétrer dans le parc qui s’étend derrière quand moi, au son de multiples aboiements, j’entreprends plutôt de faire marche arrière. Une voix s’élève pour nous rassurer et nous inciter à nous approcher. Nous nous retrouvons face à un palais shan devant un jeune homme en pantalon traditionnel (le pantalon shan ressemble au pantalon thaï, il est maintenu par une ceinture). Celui-ci nous explique que la vieille maison en bois que nous avons aperçue était le lieu de prières des habitants du palais. Aujourd’hui il est en ruines. Il nous mène ensuite auprès de sa grand-mère, l’épouse de Mr Donald, neveu du dernier prince shan de Hsipaw, Sao Kya Seng, disparu et vraisemblablement assassiné, en 1962. Cette chaleureuse vieille dame nous raconte l’histoire de ce palais bâti en 1924 et de la famille de son mari, illustrée par toute une série de vieilles photos en noir et blanc. Un cliché très beau représente le prince et son épouse Inge Sargent, une autrichienne rencontrée aux Etats-Unis, en tenue d’apparat. Mr Donald, leader shan, fut quant à lui condamné en 2005 à treize ans de prison pour des activités de «guide sans licence». Le livre d’or du palais signé par de nombreux visiteurs ayant servi pendant l’accusation, à sa sortie de prison en 2009, le couple choisit l’isolement, fermant la maison aux étrangers comme aux gens du village. D’autant que Mr Donald avait été informé qu’à toute nouvelle condamnation se rajouterait les neuf années d’emprisonnement non effectuées. Aujourd’hui le pays semble s’ouvrir. Comme le palais. Et le livre d’or.

Une autre rencontre inattendue nous attend sur le chemin du retour d’un trek que nous effectuons dans les montagnes. A l’orée d’un village Palaung un camion occupe toute la piste. Nous attendons qu’il dégage la route. Je m’attends à le voir se charger de sacs de récolte.C’est en fait un cercueil qu’il attend et qui est péniblement porté par une quinzaine d’hommes. Une fois posé dans le camion il est couvert d’une structure tapissée d’étoffes.

Le village entier s’assemble et l’immense cortège s’ébranle lentement. Des femmes portent des bambous. Le guide m’explique que ceux-ci ont le même âge que le défunt et que la tradition veut qu’on les coupe. De nombreuses femmes portent un costume traditionnel constitué d’un longyi, d’une coiffe – sorte de foulard enroulé autour de la tête – et de dizaines d’anneaux fins superposés les uns aux autres en guise de ceintures. Nous suivons un instant le cortège avant de prendre un chemin de traverse laissant le village se rendre au cimetière pour la crémation.

Hsipaw nous offre en prime de délicieux dîners. Nous prenons nos habitudes dans un tea-shop où l’on nous régale de pan cakes fourrés à la purée de pois chiches et de riz aux cacahuètes et à la poudre de sésame. Le tout pour un euro à deux. Nous ferons quelques infidélités au tea-shop pour aller dans notre deuxième lieu de prédilection : un restaurant shan aux exquises soupes de nouilles : bouillon parfumé et noodles gluantes!
De très loin nos meilleures agapes!

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