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Ijen : un plateau et un volcan en vert et jaune

Flammes bleues du Kawah Ijen

A voir comme ça le plateau sur une carte, on s’en était dessiné une esquisse, on s’en était fait toute une idée. On se voyait bien vadrouiller à moto dans ce grand espace sur des chemins serpentant dans la forêt, de villages perdus en villages perdus. La réalité fut autre, avec son lot de surprises et de trésors.

L’accès

Camp de base du Kawah IjenCôté mauvaises surprises on retombe un peu dans les difficultés expérimentées pour aller au Bromo : partout sont vendus des packages pour le Kawah Ijen, il est donc difficile voire impossible de trouver un volontaire pour nous aider à louer des motos. Même après moult thé et des heures de négociations.

Un hôtel du plateau nous en promet par téléphone. Nous le rejoignons en jeep. Arrivés sur place personne ne sait de quoi l’on parle. Qui vous a dit qu’on louait des motos ? Après une fastidieuse recherche nous louons deux modèles « vintage » à un particulier à un prix exorbitant. Pour finalement bien peu les utiliser. La route goudronnée qui serpente, la succession de petits hameaux aux jardins tirés au cordeaux des travailleurs dans les plantations de café, le froid, la pluie… Notre courage est entamé… Nous rejoignons le « camp de base » du Kawah Ijen (2 bicoques) et laissons nos montures à l’abri du déluge dans la plus grande immobilité… Pas de boucle époustouflante mais qu’à cela ne tienne… Faisons la part belle aux rencontres !

L’école

Ecole sur le plateau d'IjenA deux pas de notre hôtel deux pétillantes institutrices nous reçoivent fort gentiment alors que nous sommes venus sans façons toquer à la porte de leur classe de maternelle. Curiosité d’instit, j’avais très envie de voir les classes des petits loups. C’est jour de pluie.. Cinq élèves seulement ont bravé les éléments. Dans leur petit uniforme ils sont fort concentrés à leur activité : détourer au poinçon un dessin. Dans un croustillant mélange d’indonésien et d’anglais nous échangeons entre consœurs. Et toi tu fais ça aussi ? On s’interroge, on regarde les affichages, le matériel, on chante des chansons…

Sapari, ranger polyglotte

Plaques de soufre du Kawah IjenUne autre belle rencontre au pied du Kawah Ijen tandis que nous cherchons un lit pour la nuit. Sapari fait partie de la toute petite équipe de rangers chargés de veiller sur un immense domaine forestier : sensibilisation des paysans à la protection des arbres, lutte contre le braconnage, repérage d’exploitations illégales… Les rangers ont de quoi faire. Le soir venu Sapari s’attelle à sa deuxième activité, celle de polyglotte autodidacte. Il travaille sans relâche sur de mauvaises photocopies pour apprendre la langue de Molière ! Il nous a libéré un lit dans les bureaux des rangers et passe une partie de sa soirée à perfectionner avec nous sa connaissance de la grammaire française.

Non content de nous avoir fourni un lit sur le plateau, il nous offre de nous en fournir un à notre retour à Banyuwangi où il va passer le week-end dans sa maison. Nous le prendrons au mot et serons installés dans les pénates de ses filles tandis qu’il courra nous acheter son nasi goreng préféré. Extraordinaire Sapari aux projets multiples. Un de ses souhaits est d’offrir des cours d’anglais gratuits aux porteurs de soufre qui voudraient se reconvertir en guides.

Pak et Ibu Im, et le Kawah Ijen

Pak Im dans le cratère du Kawah Ijen

Coup de foudre avec Pak Im, adorable petit monsieur au sourire enjôleur. Il tient une boutique/warung au pied du chemin qui mène au volcan et compte 25 ans d’ancienneté en qualité de ramasseur de soufre. Aujourd’hui – la faute à ses genoux – il préfère la casquette de guide. Rendez-vous pris pour 2 heures du matin, nous passons la soirée à nous chauffer à son feu tandis que sa femme nous mitonne les meilleures soupes de nouilles de toute l’île de Java.

Flammes bleues du Kawah IjenA la nuit noire nous amorçons avec lui notre plongée vers le « cratère vert ». Ou plutôt nous commençons notre ascension du volcan. Je suis en mode ultra concentré – souvenirs du Merapi… Mais le gunung Ijen n’est pas le gunung Merapi, il se laisse plus aisément courir les flancs.
Après quelques kilomètres de montée nous sommes aux bords de la marmite. Nous entamons une descente glissante à la lumière de nos torches, le plus précautionneusement du monde, pour nous approcher de la gueule brûlante.
Nous voilà dans le royaume du soufre sous toutes ses formes. Le voilà gaz ; Pak Im n’a de cesse de siffler pour chasser la colonne de fumée toxique et irritante – chargée de dioxyde de soufre – qui s’échappe en continu et cherche à nous envelopper. Le volcan a allumé plusieurs foyers de flammes bleues qui résultent de la combustion du soufre qui entre en contact avec l’air libre. Spectacle étrange et fascinant que ces feux follets irréels qui dansent et luisent dans la nuit. Pak Im ne tient pas à ce que nous nous éternisions au fond du cratère. Nous remontons lentement derrière notre porteur de flambeau pour aller prolonger la magie un peu plus haut ; nous quittons alors les masques à gaz et attendons de cueillir le jour. Les flammes bleues s’éteignent peu à peu tandis que se révèlent les contours du cratère et le turquoise de son lac au taux d’acidité le plus élevé au monde, cocktail d’acide chlorhydrique et sulfurique.

Cratère du Kawah Ijen, eau turquoise et soufre
Et le soufre est liquide.. Tout en bas nous l’avons vu couler en une grosse goutte dégoulinant doucement, tirée par la gravité. La procession des travailleurs a commencé dans cette mine à ciel ouvert qui ne connaît pas l’industrialisation. Un saut dans un autre monde.

Porteurs de soufre

Les ramasseurs récoltent le soufre refroidi et cristallisé : le voilà devenu solide. Brisé en gros blocs il vient remplir les paniers de leur palanche. Ballet de l’or jaune. Et ballet des braves. Car du courage il en faut pour affronter quotidiennement le Ijen et ses émanations. Des dangers, il en recèle le sacripant. Notamment sous les eaux couleur de pierre précieuse de son lac en apparence paisible. Il peut arriver qu’une grosse bulle se forme et éclate libérant des vapeurs mortelles. Comme en 1976… 49 mineurs sont morts ainsi ; 25 en 1989 ; d’autres encore en 1997… Alors il faut guetter les signes : quand les eaux bouillonnent c’est que la décoction mortifère est en préparation sous le miroir diamantin. Mais ces hommes n’ont peur de rien nous dit Pak Im. Ou si, ils ont peur de la faim.

Les palanches chargées c’est de 60 à 120 kilos qui viennent peser sur le dos d’hommes qui font à peine le poids d’un seul de leurs paniers. 400 mètres pour remonter jusqu’aux bords du cratère. Puis 2000 mètres de dénivelé pour atteindre la baraque de pesée où ils pourront décharger leurs épaules de leur trop lourd fardeau.
Avant c’étaient 17 kilomètres qu’il fallait parcourir. Aujourd’hui les mineurs compensent le trajet plus court en montant 2 ou 3 fois dans la même journée débiter du soufre. Pak Im se souvient qu’à ses débuts le kilo récolté était payé 50 roupies contre 700 aujourd’hui… Quelques centimes d’euros… Un salaire qui vaut qu’on prenne tous les risques. Et la liste des prétendants est longue ! Ce salaire dérisoire est en effet bien supérieur à celui des paysans du plateau…

Porteur de soufre

Nous finissons par lentement redescendre, doublés par des porteurs trottant et grimaçants.
Des singes font frémir les arbres. Seules créatures sauvages visibles. Les plus anciens ramasseurs se souviennent des autres, des panthères notamment, qui peuplaient leurs nuits, allumaient de leurs yeux une lueur jaune dans les fourrés et une terreur au creux du ventre.
Nous retrouvons la chaleur d’ Ibu Im, de sa cuisine et de son thé au gingembre. Le soufre, lui, continue sa course. Il prendra dans quelques usines d’autres formes encore : il sera cosmétique, médicament, bout d’allumettes, poudre à canon, blanchisseur de sucre…

 

Au moment du départ nous emportons un petit bout de cet or couleur soleil donné par Pak Im ; mais nous emportons surtout le regard lumineux de Pak, le rire de Ibu, la douceur des gens d’ici… c’est ça notre vrai petit bout de soleil.

Pak Im et Ibu

Volcan Kawah IjenCratère du volcan Kawah IjenPak ImPorteurs de soufre au pied des volcansPak en mode porteur de soufre

 

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