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Quand nous roulions sur les chemins de Kompong Cham jusqu'à Kratie, à bicycletteueueueu !

Pour nos derniers jours au Cambodge, nous décidons de remonter le Mékong de Kompong Cham à Kratie en vélo. En guise de montures nous ne trouvons que deux petites bicyclettes sans vitesses, aux freins qui grincent et à la jeunesse fanée, que nous louons à un hôtel. Le trajet envisagé n’est pas énorme, 150 kilomètres, mais assez long pour queTemples contemporain et du 9eme siècle assemblés au Vat Nokor l’on ait envie d’être sûrs que nos deux-roues ne vous pas nous lâcher en route, aussi les étrennons-nous d’abord dans la ville et ses environs.

Notre premier petit tour nous mène au Vat Nokor, temple du IXème siècle. Les anciennes structures en grès et latérite renferment un temple bouddhique plus récent aux peintures très vives qui tranchent sur le décor plus ancien. Celui-ci est littéralement incorporé au sanctuaire originel, prenant appui sur les porches antiques. Seuls quelques personnes âgées sont présentes et en pleine sieste, allongées devant les statues de Bouddha. Elles nous feront gentiment une petite place sur leur natte et tous ensemble nous goûterons un repos d’autant plus agréable que le lieu renferme un peu de fraîcheur.

Porte au temple du Vat NokorFleurs de l arbre sala (couroupita guianensis)Ile de Koh Trong sur le Mékong

Revitalisés par notre sieste méditative, nous sautons de nouveau en selles pour emprunter le pont de bambou qui permet de rejoindre l’île de Koh Paen. Pont en bambou de l île de Koh PaenCe pont, reconstruit à la main à chaque saison sèche et emporté par les eaux devenues tumultueuses à chaque saison des pluies, ressemble de loin à un barrage de castors. De près pourtant on mesure toute la complexité de cet ouvrage impressionnant. Nous faisons tranquillement le tour de cette petite île paisible, suivant la piste qui longe les maisons, le vat et l’école, ou les chemins qui serpentent entre les plantations de sésame et de tabac. A la faveur d’une pause nous découvrons la glace à la cambodgienne : de la glace pilée mêlée de fruits confits, de sirops multicolores et de lait concentré sucré. Nous maudissant de ne découvrir cette petite merveille rafraîchissante quelques jours seulement avant la fin du périple, nous nous promettons d’en déguster tous les jours avant le départ (promesse tenue plusieurs fois par jour).

Après cette petite mise à l’épreuve, nous vélos grinçants nous semblent tenir la route, aussi nous voilà partis pour Kratie en suivant notre fil conducteur fluvial et espérant trouver en chemin des hôtes pour la nuit. Ces trois jours passés derrière le guidon sont peut-être les plus beaux de notre séjour cambodgien, une superbe façon en tout cas de lui faire nos adieux. La route est splendide et si l’on emprunte les chemins qui épousent les courbes du fleuve, elle croise quantités de petits villages charmants. Toujours à peu près plate, par endroits sableuse, caillouteuse, poussiéreuse, boueuse ou accidentée, elle trouve de l’ombre sous les palmiers et les cocotiers qui la bordent.
Quand la chaleur est trop forte, les eaux du Mékong ou les arbres propices à la sieste ne sont jamais très loin. A l’exception d’un après-midi pluvieux, le ciel est clair, dégagé, d’un bleu limpide. Mais plus encore que cette route superbe et que ces paysages fabuleux, ce sont nos rencontres qui nous émerveillent, et nous sommes fascinés une nouvelle fois de constater à quel point les khmers sont souriants, affables et généreux. Les enfants, en particulier, ravis de nous voir passer, s’époumonent en « hello » et c’est à peu près trois cent fois par jour que nous y répondons.

Lors de la traversée d’un village Cham, nous rencontrons Youssouf, notre premier hôte. Il nous aborde à la sortie de la mosquée tandis que nous effectuons notre pause glace pilée du jour. Il s’enorgueillit d’être la seule personne du village à parler anglais et nous invite spontanément à passer la nuit chez lui. Avant de le rejoindre, nous promenons nos vélos dans le village à la recherche d’un petit coin tranquille ; peine perdue, un attroupement se forme à chacun de nos arrêts et il est impossible de s’isoler ne serait-ce que pour soulager la nature (l’affabilité khmère sera le plus gros défi du voyage pour ma vessie). De retour chez Youssouf, je m’esquive discrètement pour aller prendre ma douche à la cuve qui recueille les eaux de pluie sous la maison ; je crains d’être repérée et suivie par une foule curieuse, ma maîtrise du sarong étant toujours imparfaite. Youssouf et sa familleJ’aurai en fait pour seule compagnie, en plus de celle des canards, la benjamine de la fratrie qui arrive nue comme un vers et glousse à chaque fois que je lui verse de l’eau sur la tête. Au moment de la préparation du repas, Youssouf me demande de participer à la cuisine ; la pression est énorme tant il se réjouit de goûter à la gastronomie française. En bonne végétarienne que je suis, je laisserai ses filles plumer et cuire le canard et ne disposerai plus, comme ingrédients, que d’œufs et d’oignons : omelette aux oignons ce sera ! Me voilà aux fourneaux en compagnie des jeunes filles qui me passent tour à tour les différents ingrédients ; charmantes, elles auront finalement cuisiné à ma place en m’en laissant l’illusion !

Notre deuxième toit nous tombera du ciel comme le premier. Nous étant laissé surprendre par le soir à Chhlong et n’osant aller frapper directement à la porte des gens pour demander l’hospitalité, nous nous arrêtons aux alentours d’un vat pour nous délecter de la vue du soleil couchant sur le Mékong, retardant un peu la mise au point d’un plan B. Un jeune garçon qui nous a vus passer vient alors vers nous et nous incite à le suivre jusqu’à la pagode. Nous voilà au milieu des robes safran, un peu gênés car notre guide a disparu sans mot dire ; le revoilà en compagnie du seul moine parlant anglais. Extrêmement sympathique et rigolard, Chanpisey merci à toiChanpisey nous accueille avec beaucoup de gentillesse. Il étend pour nous une natte sur le sol de la grande salle commune, espace ouvert aux quatre vents et doté d’un toit, nous mène jusqu’au puits et demande aux personnes âgées qui restent dans la pagode pour préparer les repas des moines de nous réchauffer un peu de riz (les moines ne mangent plus après midi). Nous voilà superbement installés, rassasiés et réchauffés par cet accueil si amical. La moitié des occupants de la pagode (moines mais aussi jeunes garçons qui viennent ici prendre des leçons gratuites d’anglais auprès de Chanpisey) suit avec ferveur un match de la coupe du monde dans la chambre de Chanpisey équipée pour l’occasion d’une télé. Ce dernier nous confie d’ailleurs qu’il s’est prévu une nuit blanche pour pouvoir suivre un match de l’équipe de France, une de ses favorites (il nous avouera le lendemain s’être endormi avant le coup d’envoi de France-Mexique, tant mieux pour lui…).

Palmier et son échelle en bambouBelle et sa monture

A notre réveil la pagode est déjà très active. Les moines sont allés mendier leur nourriture et ont pris leur premier repas à côté de nous sans que notre sommeil en soit troublé le moins du monde. Un peu gênés de nous lever si tard (trois bonnes heures après les moines qui se lèvent à 4 heures) alors que nous avions prévu d’assister à leurs prières de l’aube, nous observons l’agitation matinale de la grande salle ; un garçonnet, les fesses à l’air, se ballade et amuse la galerie (qui le connaît bien, c’est le neveu du vénérable) ; la procession des offrandes de nourriture pour le repas de midi commence et de nombreuses femmes du villages apportent des plats qu’elles ont mijotés dans de grands plats dorés; les étudiants de Chanpisey passent le balais et dressent les tables pour le déjeuner ; le vénérable procède à une cérémonie en aspergeant d’eau un couple tout en récitant des prières, et il accueille chaque offrande de nourriture. Nous réalisons à quel point la pagode si animée est un lieu de vie au cœur du village et non en retrait. Quand il n’est pas occupé avec les habitants du village, le vénérable vient nous rejoindre et répondre à toutes nos questions sur le bouddhisme (avec l’aide de Chanpisey qui fait office de traducteur et nous confie avoir prévu de lui donner des cours d’anglais) et Chanpisey nous explique la vie quotidienne d’un moine « moderne » ; le fait par exemple qu’un moine a désormais le droit de posséder de l’argent (comme les moines ne travaillent pas cet argent provient des donations), ne serait-ce que pour payer ses déplacements, ceux-ci n’étant plus gratuits pour les bonzes. Il nous confie même aider financièrement son jeune frère, le seul qui, grâce au soutien de toute la famille, a la possibilité de suivre des études. De même, il nous explique que désormais ne sont moines pour un jour, un mois ou toute la vie, que ceux qui le désirent vraiment et en font la démarche personnelle ; il n’y a pas si longtemps la prise de froc (pour la période voulue) était une étape obligée dans la vie du garçon et même une condition pour qu’il puisse se marier. La discussion durera une bonne partie de la matinée, ponctuée par les grands éclats de rire de Chanpisey qui s’excuse de temps à autre pour prendre un coup de fil ou consulter ses e-mails sur son téléphone ultra-moderne. Le vénérable nous invite à partager le déjeuner des moines avant que nous ne reprenions la route ; au moment du départ, il nous bourrera le sac de petits gâteaux.

Dauphins de l Irrawady dans le MékongLa pluie nous surprend sur la route de Kratie et nous sommes contraints de nous abriter sous une réserve de foin. C’était sans compter sur la gentillesse de deux charmants grand-pères qui nous enjoignent à les rejoindre sous la maison de l’un deux et nous offrent du thé. Nous passerons un moment agréable en attendant que passe l’orage en leur compagnie et celle d’un troisième larron qui tient à nous faire une démonstration de son français en lisant à voix haute les pages de mon polar. Lorsqu’au soir nous rallions Kratie, nous restons sous le charme de ces quelques jours passés en vélo sur les chemins du Cambodge.

Notre périple s’achève par quelques jours à Kratie. Nous nous rendons à l’île de Kho Trong qui s’étend en face de la ville au milieu du Mékong ; nos vélos nous permettent d’en faire tranquillement le tour, du village aux rizières, de l’échoppe de glace pilée au village flottant. Nous guetterons en vain les tortues géantes du Cantor le long des plages de l’île sans en apercevoir le début d’une écaille. Tronquant nos vélos pour une moto Bientôt la fin...nous nous rendrons également dans les environs de la ville pour partir à la découverte des dauphins de l’Irrawady. Un bateau nous permet d’approcher de plus près cette espèce qui est la plus menacée d’Asie. Il en resterait seulement 75 spécimens au Cambodge après leur chasse intensive pour leur huile durant le régime des khmers rouges. De-ci de-là nous apercevons leur front bombé affleurer à la surface avant de replonger dans le fleuve. Un ultime pèlerinage à un vat perché sur une colline et que l’on doit mériter après une importante volée de marches, et une dernière contemplation des campagnes cambodgiennes qui s’étendent à nos pieds et le glas du retour sonne inéluctablement. Après un passage express à Kompong Cham pour rendre nos vélos et récupérer le gros de nos affaires, c’est déjà le bus pour Phnom Penh et le tuk tuk pour l’aéroport.

Retour à la case départ Singapourienne avant un envol pour l’Australie où est née, pendant ce temps là, une nièce à Fred (et à moi un peu aussi).

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