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Lac Inle, villages et faiseurs de miracles

Le lac Inle a beau être un lac il n’est pas peuplé que de poissons. Loin de là. Les hommes ont en effet conquis ses eaux pour s’y installer, à l’instar des Uros sur le Titicaca ou des khmers sur le Tonlé Sap. Le lac regorge ainsi de villages traversés par des canaux comme ils le seraient par des rues sur la terre ferme. Certains sont tout entiers sur pilotis et les maisons en teck ou en bambou sont agrémentées de pontons et de «garage» à sampans. D’autres semblent posés sur l’eau grâce à de véritables tapis de végétation flottante si serrés qu’ils forment des îles. D’autres encore ont choisi l’entre-deux, entre la terre ferme et les eaux. Il va sans dire qu’ici les enfants naissent les pieds dans l’eau, véritables tritons et déjà bateliers émérites. On les voit ramer comme leurs parents, assis à la proue ou debout sur la poupe.

Qui dit village dit aussi jardins : les habitants du lac Inle possèdent eux aussi leur potager. Les plans de tomate s’alignent sur des îlots flottants fixés au lit du lac par des bambous fichés dans le sol. Entre les piquets et les tuteurs on se croirait arrivés dans une plantation d’allumettes.

Aussi vrai que le lac n’est pas peuplé que de poissons, les habitants des villages ne sont pas tous pêcheurs ou jardiniers. Ils sont aussi faiseurs de miracle, les métiers d’art fleurissant sur les eaux comme le lotus.

Il y a les ouvriers de l’argent, capables de donner à un petit lingot la forme d’un bol, à grand renfort de coups de marteau. Le métal est en effet modelé à la main avant d’être empli de résine qui en durcissant va permettre de graver toutes sortes de formes sur ses contours. Chauffée la résine fondra et on pourra ensuite travailler l’intérieur du bol. D’autres ouvriers, à l’aide d’une presse et de braises, sont comme des charmeurs de serpents. A force de travail ils obtiennent des serpentins d’argent de plus en plus fins qui seront autant de maillons d’une chaîne. D’autres encore sont les fourmis de l’atelier, en charge d’un travail de ciselage si minutieux qu’on dirait des couturiers réalisant de la dentelle argentée. Les femmes achèvent le travail en polissant les bijoux dans des bassines contenant un mélange d’eau et de jus de fruit.

Les villages comptent aussi des fabriquants de papier qui font tremper l’écorce d’un arbre avant de la battre longuement avec des maillets. Mélangées à l’eau les fibres seront parées de fleurs puis disposées uniformément sur un tamis et enfin mises à sécher au soleil. L’arbre deviendra lampe, carnet, éventail ou ombrelle.

Et surtout il y a les tisserands. Merveilleux artistes. Je suis toujours autant saisie de stupeur et fascinée devant leur travail. Et je me demande comment tant de petites découvertes, tant de savoirs patiemment élaborés, se sont enchaînés millénaires après millénaires, siècles après siècle, lentement perfectionnés, affinés, pour donner ce résultat! Recherche de la meilleure fibre, développement d’outils complexes. Ici toutes les étapes sont visibles, de la fibre arrachée à la tige du lotus, à l’enroulement de la bobine, puis de la navette, puis des rouleaux de fils organisés minutieusement et qui viendront se fixer au métier. On rend au tissu toute sa valeur, tout son prix, quand on se trouve face au processus qui l’a fait naître et qui lentement le façonne. Regarder ces magiciens à l’œuvre a quelque chose d’hypnotisant. Les tisseuses me semblent des musiciennes, des organistes jouant autant de leurs pieds que de leurs mains dans un bruit de sabots produit par le claquement des navettes. La musique du tissu! Au bout de la chaîne les couturières et leurs antiques singer. Si les machines n’étaient pas si lourdes j’en mettrais bien une dans le sac à dos.


Villages de pêcheurs, de jardiniers, d’artistes… C’est sûr le lac Inle contient bien plus que des poissons.

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