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Yangon


Nous voilà à Yangon, ville délaissée à notre arrivée mais à laquelle nous consacrons nos derniers instants en Birmanie. Après des petites villes et des villages, l’arrivée dans une grande ville a quelque chose de dépaysant. Nous renouons avec le trafic dense, les pots d’échappement, la foule et la folie immobilière qui nous fait poser notre sac dans une cage à lapin de 3m² pour 30$ la nuit. Nous retrouvons aussi le festival des odeurs qui se concentrent dans les milieux urbains à forte densité ; quand on débarque dans une grande ville au climat chaud, les odeurs sont bien le premier défi. Tout sent fort et les mauvaises odeurs prennent le dessus, leur pouvoir décuplé par l’humidité et la chaleur. C’est une attaque du nez, une prise d’assaut des nasaux. Mais après quelques temps le tarin s’habitue, il apprivoise, reconnaît, trie les milliers de substances chimiques, les multiples messages odorants. Il n’est plus asphyxié ou dépassé, il perçoit les différentes fragrances, l’odorat s’est affiné, est devenu capable de sentir l’effluve du jasmin à coté d’une poubelle, de distinguer les senteurs diverses du marché. On comprend alors que le bizutage est fini, qu’on a progressé sur la voie asiatique. On reconnaît les nouveaux arrivants à leur nez pincé. Pour un peu on se sent chez nous.

A Yangon nous choisissons de déambuler un peu au hasard. Avec pauses régulières aux stands de nouilles et de curies. Nous avons définitivement troqué étoiles, grillons, cabanes et coqs contre lampadaires, rats, immeubles et pigeons. La ville s’active, grouille, s’agite. On se laisse porter par ses pulsations, par son élan vital. Sur les trottoirs mille et un stands s’étalent face aux boutiques. On vend de tout, on interpelle, on discute, on mange. Dans une rue ce sont les pierres précieuses qui sont exposées, dans une autre les légumes côtoient des tea shops et des étals de vêtements. Il y a de tout partout, de toutes les couleurs et pour tous les goûts. A proximité d’un temple hindou les vendeurs proposent de quoi nourrir les pigeons : les volatiles on l’habitude… les voila posés en grappe sur les fils électrique en attendant leur prochain bienfaiteur. Je passe mon tour, tant pis pour mes mérites, les centaines d’yeux globuleux qui me fixent me font penser à Hitchcock et je prie plutôt pour que les arrière-trains restent au repos pendant que je passe dessous. Je ne m’en vais pas leur donner de quoi me faire dessus. Un peu plus loin un stand retient mon attention. Des boites et des colifichets, je m’approche… c’est un stand voué au plaisir, garanti par des pilules et divers objets colorés et décorés à grand renfort de perles et … de poils. Je veux partager mon amusement avec  Fred mais il a continué sa route. Le vendeur en revanche m’observe. Je m’éloigne un peu rosissante.

Au hasard de nos promenades nous croisons quantité de vieilles façades aux couleurs fanées et au charme suranné. Des témoins de l’époque coloniale. Elles sont désormais à l’abandon et de guingois. La décrépitude s’amorce et les plantes poussent dans les fissures.La plupart de ces constructions sont encore habitées, d’autres sont vouées à la solitude et à la désolation. Un ensemble de beaux bâtiments entouré de grilles retient en particulier notre attention. Le vendeur de billets de loterie du coin de la rue nous dit que c’est ici que fut assassiné le 19 juillet 1947 le général Aung San, père de l’indépendance et d’Aung San Suu Kyi. En attendant une éventuelle revalorisation du patrimoine tous ces beaux édifices continuent fièrement d’affronter climat, fissures et végétalisation.

Si Yangon est restée la ville la plus importante du pays, elle n’en est plus la capitale depuis novembre 2005. Elle a été détrônée par Nay Pyi Daw, la « demeure des rois ». Cette nouvelle capitale a surgi de la jungle dans le plus grand secret à 320 km de Yangon. A une date favorable selon les astrologues (le  6 novembre), 11 ministres, 11 bataillons et 1100 camions militaires ont officiellement transféré le pouvoir là-bas (ai-je mentionné que 11 est un chiffre porte bonheur ?). Les fonctionnaires ont été averti de leur déménagement forcé (sous peine d’emprisonnement) 3 jours plus tôt, la population, elle, ne l’apprendra que 2 mois plus tard. La nouvelle capitale est une succession de zones à bonne distance les unes des autres et reliées par des autoroutes à 12 voies : zone des ministères, des fonctionnaires, des ouvriers et zone ultra interdite de l’armée. Elle s’étale sur 7 000 km ² (40 fois Paris) pour officiellement 900 000 habitants mais plus probablement 100 000. La justification de ce déménagement présentée par le gouvernement était que Nay Pyi Daw avez une place plus centrale que Yangon. Il semble que d’autres raisons soient plus vraisemblables : ghetto ultra protégé pour militaires et haut gradés, position plus proche des territoires Karen, Chin et Shan, donc plus à même de les contrôler, position moins exposée que celle de Yangon, impossibilité de soulèvement due aux distances entre chaque zone…. La capitale possède 15 hôtels de luxe, des golfs, un zoo avec des pingouins sous air conditionné, un parc aquatique, 2 stades de 30 000 places… Ville gigantesque, sans attache historique ou culturelle, ville vitrine, ville fantôme, ville sans âme. Bien loin de la bouillonnante Yangon dont l’âme est dans les rues. Avec ou sans pingouins.

Une visite incontournable à Yangon pour le lieu le plus vénéré du pays, la pagode Shwedagon, qui contiendrait pas moins de 8 cheveux du Bouddha. Son stupa principal se dresse à 98m du sol dans un éclat d’or (le stupa est recouvert de milliers de plaques d’or) et de pierres précieuses (le hti comporte 1 065 cloches d’or et 420 d’argent, la girouette est sertie de pierres précieuses et au commet culmine un gros diamant). 64 petites pagodes et 4 temples l’entourent. Le lieu est assez magique tant pour la splendeur de ses édifices que pour son atmosphère. Nous y passerons quelques heures à en observer l’agitation feutrée, le fourmillement des fidèles, les recueillements, les pauses photos… Le cœur de la ville est là, son centre spirituel, sa fierté. Et la pagode remplit bien ce rôle qu’elle a dans les villages, celui d’être intégrée à la vie de la communauté, de rythmer par les célébrations le temps qui passe. Un moment suspendu entre fascination, harmonie et poésie. Hors du temps même si le rose du ciel, l’éclat de l’or et les chandelles qui sont allumées nous rappellent que le soleil rougit que la nuit tombe et que le voyage touche à sa fin. Une belle façon de dire au revoir au Myanmar.

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