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La nuit birmane ou retiens la nuit

Nous pouvons définir la nuit de deux façons. Une définition – que j’appellerai objective – est que la nuit est le moment où le soleil n’éclaire plus la portion de Terre sur laquelle on se trouve, c’est donc le moment qui se trouve entre son coucher et son lever. En Birmanie le soleil se lève à six heures et se couche à dix-huit heures , on peut donc en conclure que la nuit s’étend de dix-huit heures à six heures. Mais on peut aussi donner à «nuit» le sens de portion de temps dévolue au sommeil, sens que le mot prend quand on se souhaite une bonne nuit. Ce serait ici la définition «subjective» de la nuit en ce qu’elle varie en fonction de chacun. J’oserai même dire qu’elle peut varier beaucoup en fonction de chacun… et notamment entre un petit couple de français et les habitants du Myanmar. Et c’est là que les ennuis commencent…

Il va sans dire qu’en voyage, au gré des rencontres, activités, maladies, horaires de bus et toute autre circonstance particulière, la portion de temps consacrée au sommeil peut être extrêmement fluctuante. Dressons une moyenne et disons que l’on considère que le coucher a lieu vers vint-deux, vingt-trois heures et le lever vers sept heures. On est encore loin du compte pour les locaux. La nuit en Birmanie ne se plie pas à ses horaires, loin s’en faut. Surtout aux abords des guesthouses semble-t-il ou peut-être en va-t-il de même partout, je n’ai pas toujours pu vérifier in situ. De mon lit, pris comme poste d’observation de référence, il semble en tout cas que la nuit il se trame encore bien des choses. C’est en tout cas ce que je me permets bien modestement de conclure à partir des bruits qui me parviennent. Et par bruits il faut entendre pléthore de sons. Celui du vampire assoiffé de sang d’abord, ronronnement pernicieux qui attend sadiquement le moment où le corps se met à l’horizontale pour se manifester. Bien entendu. Les moustiques sont ici aussi vicieux qu’en France. Seulement il y en a plus et toute l’année.

Mais c’est encore un bien léger dérangement que l’on peut toujours régler en s’armant de patience et d’une tongue et en faisant fi de ses efforts pour respecter les préceptes bouddhistes. Tant pis pour le bisaïeul éclaté sur le mur, de meilleures actions dans une vie antérieure et il n’en serait pas là. Je ne juge pas, je constate.

Un peu plus pénible peut-être est le glouglou continu qui, loin de bercer, finit par mettre les nerfs en pelote. Surtout une fois qu’on a vérifié chasse d’eau et robinet. Rien à faire. d’où vient-il ce fichu glouglou? Mystère, mais il est là et bien là.

C’est encore un bruit tolérable. Plus en tout cas que celui des klaxons et des moteurs asthmatiques et toussotants. Ceux-là ont l’art de surgir à l’improviste, d’opérer un crescendo dévastateur avant de s’évanouir lentement, ô combien lentement. Et sitôt une pétarade finie en voilà une autre qui commence.

Passe encore.
Mais voilà le karaoké qui s’invite dans la ronde, qu’on chante dessus ou qu’il soit mis en musique de fond si par musique de fond on entend quantité de décibels telle qu’on se demande si une conversation est encore possible. Cela se vérifie doublement quand on passe la nuit dans un bus. Peut-être faut-il tenir le chauffeur éveillé? Et tant pis pour le petit couple ronchon qui a l’air d’être seul dérangé. Quand on passe la nuit dans une guesthouse, pas besoin de tea-shop à proximité. Il y aura toujours une télé ou une radio dans un coin. A croire qu’elles se reproduisent miraculeusement. Je ne sais pas, je suppose.

Sitôt le karaoke éteint, ce qui finit toujours pas arriver, voilà le temple qui s’éveille. Et qui le fait savoir. Pas d’inquiétude, où que vous soyez il y aura toujours une pagode dans le coin. avec des moines lève-tôt. Et des enceintes. Pour que tout le monde profite de la litanie monocorde, assommante et grésillante recrachée par hauts-parleurs souvent vers trois heures du matin. Peut-être gagne-t-on en mérites à la subir stoïquement. Parce qu’en tout cas, bizarrement, une fois que cela a commencé on n’entend plus que ça. Pour le commun des habitants ce n’est pas un grand souci. De toutes façons vers quatre heures du matin ils sont debout. S’agirait pas de paresser.

C’est alors que les bruits du jour (je préciserai qu’on peut également donner deux définitions de ce terme…) commencent, pour quelques heures en superposition avec ceux de la nuit.
Bref. La nuit en Birmanie (et plus généralement en Asie?) est une expérience. Sérieusement. Mais ne vous fiez pas à ma mauvaise humeur. C’est le manque de sommeil…

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