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Pakokku, soleil au cœur et lumières de pleine lune

Rien ne nous prédestinait à faire étape à Pakokku. Sauf qu’à priori il n’y avait rien de particulier à y faire. Ce qui nous a semblé être une première bonne raison de nous y arrêter. L’autre bonne raison était la description de l’unique guesthouse qui la présentait davantage comme un homestay. L’occasion enfin d’être accueilli chez quelqu’un dans un pays où les habitants n’ont pas le droit d’héberger des touristes, notre plus grande frustration. Surtout que, jusque là, les hôtels étaient de grandes structures aux mille et une chambres où il était plus facile de croiser des européens que des myanmars.

Grand bien nous a pris de nous arrêter à Pakokku. Pas de paysages extraordinaires, pas de sites grandioses et pourtant… D’un commun accord notre étape favorite, notre coup de cœur. On y aurait bien passé nos trois semaines. Et tout d’abord grâce à Mya Mya, notre hôte dans sa vieille demeure du bord du fleuve. Une vieille dame parlant très bien anglais.Pleine de bons conseils. Et chaleureuse et adorable. Comme le reste de sa tribu. Une de ses attentions me touche particulièrement; le vingt-sept novembre, alors que j’arrose ma trente-et-unième bougie à coup de bière en compagnie de Fred et de Patrick, un photographe logeant à la même enseigne, Mya Mya m’appelle et me tend une petite enveloppe. Deux perles pour me faire des boucles d’oreille. Un cadeau d’anniversaire.

Le quartier où habite Mya Mya nous fait oublier que nous sommes dans une grande ville. On se croirait plutôt dans un village. Les rues prennent des allures de pistes poussiéreuses, bordées de vieilles maisons en bois ou en bambou pour la plupart et de jardins luxuriants. En trois jours nous n’aurons guère poussé plus loin que quelques pâtés de maisons. Pas le temps de faire plus. Il faut dire que l’aventure commence à peine le pied posé hors de chez Mya Mya. On ne sait jamais ce que la journée nous réserve. Du lever au coucher c’est une suite de rencontres et de sourires. Nous sommes très étonnés de la curiosité bienveillante et amusée que nous suscitons. Tout le monde nous salue. Quand nous passons devant une maison les gens s’interpellent et lorsque nous nous retournons ce n’est plus une mais quinze personnes groupées qui nous regardent et nous sourient.

Pause dans un tea-shop : les quinze minutes initiales se prolongent. Trois heures plus tard nous sommes toujours là. Moe-Moe, l’adorable patronne, est à table avec nous, ainsi qu’un moine qui nous confie vouloir être notre ami. La traduction est assurée par une pétillante jeune fille qui répète toutes les cinq minutes «I am so happy, I am so happy». Moe Moe me met des fleurs fraîches de jasmin dans les cheveux et m’offre un CD de karaoké de sa fille qui répète assidûment au micro. Il faut dire qu’elle doit se produire ce soir, il y a un concert dans le quartier après une fête à la pagode. Rendez-vous est pris avec Moe Moe. Puis un petit cortège nous escorte au temple pour nous le faire visiter. Nous y serons nourris par la même occasion.
Le quatre heures nous sera quant à lui offert par une dame tenant un petit étal et à qui j’achète un cahier. Invités à pénétrer dans la maison on nous offre du thé, des bananes et des clémentines, on nous montre l’album de photos de la famille. Limités de part et d’autre en birman ou en anglais la conversation est d’abord un langage du corps. Et des zygomatiques.

Le soir venu nous nous rendons à la pagode pour la fête de la pleine lune de Tazaungmon. Toute la journée des grappes d’enfants nous ont demandé de l’argent, «money, money», que nous leur avons refusé avant d’apprendre que cela faisait partie de la fête. Sorte d’Halloween, les enfants réclament aux adultes de la pocket money pour aller s’acheter des sucreries. Évidemment, une fois qu’une liasse de petites coupures est prête dans ma poche, plus un enfant ne m’approche.

Arrivés aux temples nous n’étions pas préparés au spectacle qui nous attendait. La célébration étant une fête des lumières les stupas sont recouvertes de bougies que les fidèles sont en train d’allumer. On m’intègre à la tâche pour mon plus grand plaisir. Les édifices s’illuminent tour à tour de milliers de flammes vacillantes dans la nuit. Un spectacle éblouissant et féerique. Chacun, adulte comme enfant, est absorbé par sa tâche. Les plus intrépides escaladent les temples pour en atteindre les étages supérieurs. On n’entend seulement le grésillement des flammèches qui prennent feu. Puis résonne une prière récitée à l’unisson. A la pagode l’activité est plus fébrile. Elle est bondée. Ça discute et ça rigole dans un joyeux brouhaha qui tranche avec l’atmosphère recueillie que nous venons de quitter. Sur le sol des centaines de lampes à huile enflammées enveloppent les participants de tourbillons de fumée. Un groupe de fillettes m’entraîne dans tous les recoins dans une chasse à la mèche éteinte, au son de «let’s go» autoritaires. Quand je retrouve Fred il est encerclé par une vingtaine de femmes qui veulent toutes être prises en photo. Après un arrêt forcé au stand de nourriture, salade de feuilles de thé aux cacahuètes, c’est la séance photo de groupe. Nous sommes invités à poser. Puis ce sont les moines qui défilent pour être immortalisés à nos côtés.

Au tea-shop Moe Moe tient elle aussi à remplir nos estomacs. Les tables sont prises d’assaut par des dizaines de moines. Nous partons en sa compagnie au concert le long d’une rue colorée par les vendeurs de ballons et de barbe-à-papa. Sur la scène défile la jeunesse du quartier : une rappeuse de douze ans au sweater à paillettes; un petit bout de six ans en pantalon large, bonnet vissé sur la tête, qui sautille sur un tube rock; la fille de Moe Moe pour un duo romantique… Une jeune fille insiste pour m’emmener chez elle. Je finis par la suivre avec Fred. Dans sa cuisine elle nous présente sa mère et nous offre des clémentines et un grand sac de cacahuètes. Voilà. C’est tout ce qu’elle voulait. Nous avoir cinq minutes chez elle.
Lorsque nous regagnons nos pénates, la tête dans les lumières,nos cœurs aussi sont au chaud. Nous réalisons que pas une fois dans la journée on ne nous aura laissé payer notre pitance.

Et c’est ainsi que nous passerons nos trois jours. Nous cherchons quelque chose? On nous accompagne. Nous voulons voir un temple? On nous ouvre toutes les portes. Nous cherchons du tissu? Le marché se mobilise.
Quel regret au moment du départ! Je repense aux paroles de Brassens dans sa chanson pour l’auvergnat :

«ce n’était rien qu’un peu de miel mais il m’avait chauffé le corps et dans mon âme il brûle encore à la manière d’un grand soleil»

Et je me demande si Brassens ne serait pas passé par Pakokku.

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