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Dieng sur un plateau

Depuis le Gunung Prahu sur le plateau de Dieng

Départ sous un ciel couvert. Malgré les avis des passants interrogés pour trouver notre chemin qui semblent tous sceptiques voire catégoriques quant à la qualité de la route, nous persistons sous la pluie qui s’est invitée dans notre périple. Rapidement les environs peu esthétiques de la ville font place à une campagne superbe. Travail de fourmi, travail de titan pour sculpter d’innombrables terrasses qui prennent d’assaut la montagne. Elles forment un quadrillage étagé, une mosaïque colorée. La brume ne tarde pas à s’accrocher aux versants. Nous roulons dans un nuage. Dans les champs fantomatiques des silhouettes immobiles d’épouvantails gardent les lieux. On ne voit bientôt plus à dix mètres.

La montée s'annonce humide

Atmosphère cotonneuse de particules en suspension qui s’accrochent, font trois petits tours et puis s’en vont, laissant une nature gorgée d’eau, dégoulinante d’humidité. Comme nous. Des éclats de voix. Les champs sont donc habités par d’invisibles travailleurs. La côte est raide et la route mauvaise. On nous avait prévenus. Mais que dis-je une route ? Une piste, un chemin, une absence de route en fait, un bitume fantôme. Des éclats de goudron çà et là témoignent d’un effort passé, oublié, dégradé, érodé et disparu. Un balai commence. La moto monte. S’arrête. Je descends. Je pousse. Je finis à pied. Je ré enfourche. Je redescends. Cinq heures au lieu de deux. Pierraille et gravier défient les suspensions de la bécane. La gravité joue contre nous.

Temple d'Arjuna, DiengUne maison enfin. Puis deux. Puis trois. Un village. Fantôme ? Non. En voilà les habitants qui surgissent d’une brume qui les gobe à nouveau. C’est Sembungan, le plus haut village de Java (2300m). Des baraques serrées le long de la route. Hommes en sarong et en calot s’affairent à charger un camion de pommes de terre. Le dénivelé s’inverse jusqu’à Dieng, enfoui dans la ouate. Nous sommes détrempés et congelés.

A peine les motos déchargées la prière du soir annonce le crépuscule. Quelques petits temples hindous restent debout, derniers témoins d’une époque où ils étaient 400 à former une cité. Le ciel se dégage. Du bleu. Un volcan. Des fumerolles. Et du rose, de l’orange, du turquoise. Un ballet à 360 degrés vient nous rendre la vue. Les mosquées se répondent. Musique, échos, lumière. La pénible escalade n’est plus qu’un souvenir. La récompense est sublime. Nous sommes transis. De froid ou de beauté ? Bouquet final aux couleurs arc-en-ciel.

Le lendemain nous nous levons avec la prière du matin. Au chant du muezzin nous nous enfonçons dans le brouillard qui laisse par à-coups entrapercevoir un croissant de lune. Traversée de Sambungan qui s’éveille. Nous laissons les motos et entamons une ascension raide et glissante, à tâtons, jusqu’à un point de vue où attendent déjà de nombreux groupes de jeunes indonésiens rieurs et bruyants. Depuis Sikunir sur le plateau de Dieng La gaieté est de mise. Les nuages s’éclairent puis se dissipent. Le spectacle commence, sublime, incroyable, saisissant ! Volcans et montagnes jouent aux ombres chinoises dont les contours floutés se révèlent peu à peu. Prennent forme. La lumière irradie. Des nuages plats et étirés passent lentement devant un volcan. Blanc sur noir. Coton sur roche. Une estampe à la Hokusai. Tout est si grand, démesuré, immense ! Le genre de paysage qui invite à la contemplation et à l’humilité…

Petit à petit les creux et les versants deviennent plus complexes. En contrebas la deuxième prière fait entendre son écho. Points lumineux des tôles des maisons qui réfléchissent la lumière. Le sol se met à briller. Des vapeurs s’élèvent, les rêves s’en vont rejoindre les troupeaux de nuages qui grossissent à vue d’œil. Les mosaïques des cultures esquissent leur dégradé. Tout autour de nous résonnent les rires et les cris d’une petite foule de spectateurs enjoués. Nous devenons un élément du paysage sur leur photo. C’est le défilé. Les jeunes filles gloussent et pépient en se pressant contre Fred pour le souvenir. Un petit vendeur sert un café brûlant qui réchauffe les doigts engourdis. Nous finissons par nous arracher à ces visions de beauté pour redescendre vers nos motos, embrassant au passage une vue du village et du lac en contrebas. La faim exige une pause avant la suite.

Sikunir sur le plateau de Dieng

Des lacs, turquoises et marrons ; un trou béant, bouillonnant, glougloutant. La nature joue les mages, s’essaye à des mélanges de couleurs, chauffe une marmite de bulles de boue qui éclatent dans une fumée épaisse. Concoctions de quelques mixtures toxiques dans une odeur de souffre et d’enfer. C’est toujours fascinant d’avoir un aperçu de ce qui se passe à l’intérieur, comme une coupe, une carotte géologique qui donne des échantillons, qui remonte le temps. Là on remonte les strates. Un petit bout de l’activité qui a lieu sous la croûte, comme les veines courent sous la peau. Matière vivante.

Plateau de DiengDanseurs de wayang topengNous passons un moment avec un couple de paysans, assis ensemble sur les marches géantes d’escaliers en terre qui rejoignent leurs cultures. Délices d’une conversation et de quelques fruits.

Plus loin des échos de gamelan jouent les aimants. Une fête. Des danseurs de wayang topeng. Merveilleusement gracieux. Le jeu des bras, la souplesse des mains et des doigts, les petits mouvements de tête. C’est envoûtant. Des masques en font des marionnettes immenses, animées par quels fils ? La chanteuse m’appelle. Je m’assois au milieu de l’orchestre… Je lui lance des coups d’œil effarés quand elle met le micro devant ma bouche !

Je rends les armes. Dieng m’a tuée. Le corps ne suit plus. Je laisse les garçons partir nuitamment à la poursuite d’un nouveau lever de soleil.

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