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Quatre mille îles - Si Phan Don

Tuk tuk, bateau, nous voici sur l’île de Don Det ; marche sous un soleil de plomb, pont sur le Mekong et nous atterrissons à Don Khon, notre destination.

Si Phan Don est un archipel qui s’étire sur plus de cinquante kilomètres au milieu du Mekong. Pendant la saison des pluies le fleuve atteint ici la plus grande largeur de tout son parcours : jusqu’à 14 kilomètres. A la saison sèche, du fait de l’étrécissement du fleuve, des centaines d’îles et d’îlots apparaissent tandis que les îles permanentes grignotent du terrain. A la période coloniale les îles de Don Det et de Don Khon constituaient un important point de passage pour les marchandises et une étroite voie ferrée reliant les deux îles fut construite d’une quinzaine de kilomètres de long. Voilà pour la présentation.

Pour nous les quelques jours passés à Don Khon sont avant tout l’occasion de pratiquer notre art du « chill »avec un grand C. Et pour cela il suffit de se laisser porter. Le décor invite à la nonchalance, les cocotiers et le calme Mékong à la contemplation, la chaleur du zénith réclame de la lenteur et le silence incite au repos. Le début d’après-midi est une heure magique vraiment, tout semble se suspendre et le silence se fait d’or. Tandis que nous suivons à vélo une piste ombragée et sablonneuse qui fait le tour de l’île nous n’entendons que le frémissement de l’eau lorsque les buffles laissent émerger leur museau, le froufrou des hamacs sur lesquels visiteurs et habitants se laissent doucement bercer, le frottement du chien qui chasse ses puces. Pas un bruit que des murmures, hommes et animaux se taisent, et nous réalisons soudainement que nous avons cessé de parler depuis un moment, prenant même garde à atténuer le bruit de nos vélos dont nous caressons presque les pédales. Une heure ou une éternité, on ne sait plus trop, peut-être les deux selon que l’on s’attache à la montre ou à nos perceptions. Magie du lieu, magie du silence, magie de cette sensation d’apaisement. Je me dis que des lieux comme celui-là ne doivent jamais connaître la fureur ni la rage si ce n’est celles de l’orage qui vient au soir déchirer le ciel et jouer sa musique d’eau sans parvenir à rafraîchir l’atmosphère.

Nos promenades à vélo nous auront permis de faire rapidement le tour des vestiges coloniaux témoins du passé de Don Det et de Don Khon, qu’ils fassent encore partie du quotidien des îles comme ce beau pont qui permet de les relier les pieds au sec (car même en bateau ceux-ci sont dans l’eau, l’art d’écoper fait partie des talents du capitaine au même titre que celui de la conduite), ou qu’ils se laissent tranquillement ronger par les ans : locomotive rougissante de rouille et parée de fleurs qui en colonisent les abords, rails dévolus à une nouvelle fonction puisqu’ils servent désormais à agrémenter les barrières, débarcadères pour les marchandises toujours debout mais devenus inutiles, vieille bâtisse en colonnades et terrasses devenue ocre, ses premières couleurs ayant fané, mais rendue à la vie au coucher du soleil lorsque la lumière la pare d’orange et de rose.

La fin d’après-midi arrive et avec elle l’animation d’abord apportée par les enfants. C’est l’heure des plongeons dans le Mékong, à grands renforts de rires et de cris, de glissades et de jeux ; nous ne mettons jamais longtemps à suivre leur exemple. C’est l’heure de la chasse aux criquets aussi, lorsque les trombes de pluie occasionnelles se sont tues et que les lampes remplacent le soleil depuis peu disparu : heure des criquets et des petites filles armées de balais que nous observons à l’assaut des insectes sauteurs. En 15 minutes la bouteille de plastique-panier est pleine !

Temps suspendu mais qui file en cachette… et déjà il faut penser au départ ; et ce n’est pas seulement les îles du Mékong que nous laisserons derrière nous, c’est aussi le Laos.

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