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Le soin du corps

Le corps en voyage est soumis à de terribles épreuves. La chaleur, la poussière, les moustiques, les éruptions en tout genre, les plats qu’on n’aurait pas du tester ou pas là où on l’a fait en tout cas, les vêtements collants et malodorants que même les échantillons de parfum que l’on a pensé à prendre ne suffisent plus à rattraper, les moyens de transport aux barres de fer toujours mal placées, les longues marches, les bouses qu’on n’a pas vues, les draps qui n’étaient pas propres et qui étaient habités, les toilettes qui constipent rien qu’en y pénétrant, les matelas trop durs mais aussi les trop mous, les clims qui en veulent au système immunitaire et le poids de la pharmacie trimbalée dans laquelle pourtant manque toujours LE médicament idoine… Même si Nicolas Bouvier disait qu’on se passerait bien parfois d’avoir un corps, eh bien, il se trouve qu’on en a un et qu’on ne peut pas lui permettre de nous lâcher. Il faut donc en prendre soin et de temps en temps lui rappeler qu’on l’aime. Le cajoler. Le consoler.

Pour cela rien ne vaut l’imitation : que font les habitants pour prendre soin du leur? Quels sont leurs secrets de beauté? Faisons pareil. Évidemment on ne le sait pas encore, et pourtant on aurait pu s’en douter, on se prépare à quelques moments de solitude. On essaie d’imiter au mieux mais manquent encore pratique et savoir-faire. Bref on ne passera pas inaperçus là où on aurait aimé se faire tout petits.

C’est la réflexion que je me fais aux bains. Car si les myanmars se baignent partout où il y a de l’eau et si possible en extérieur, dans leur jardin, aux bords des fleuves et des rivières où l’eau est bien plus que vivifiante, il existe aussi quelques petits endroits où l’on peut prendre des bains chauds, ouf! C’est ainsi qu’à une quinzaine de kilomètres de Hsipaw on nous indique des sources d’eau chaude. Ni une ni deux on enfourche la moto, on se perd quatre ou cinq fois, semant des fous rires partout où l’on a tenté de demander notre chemin en birman, et enfin on s’y retrouve. Les deux cotons-tiges que nous sommes sont un premier divertissement pour les locaux qui se succèdent aux bains à ciel ouvert.

Deux bassins, côté hommes et côté femmes, sont séparés par un muret. Qui cache quand on est dans l’eau mais pas quand on tente de se changer. Du coup Fred et moi nous changeons dans une gargote où un rideau masque nos intimités. Je suis fière de moi, j’ai pensé à prendre mon paréo qui fera office de sarong. Sauf qu’il est blanc. Et vite mouillé du coup. Et je n’en ai qu’un et pas de grande serviette.Au temps pour ma fierté! Sitôt dans l’eau je m’aperçois qu’il faut que je le coince entre mes jambes si je ne veux pas qu’il se gonfle en corolle au niveau de mon cou. Bref grand moment de solitude de mon côté. Fred est plus chanceux, chez lui ça se baigne en caleçons… C’est toujours plus simple pour les hommes… Nous voilà donc chacun d’un côté du muret virant cramoisis dans une eau à 50 degrés.

Chez les femmes on fait la lessive, on se lave les cheveux ou on se frotte la corne des pieds avec une pierre ponce. Côté hommes on se récure, on brosse ses tongues et on se lave les dents. Bref on partage dans l’unique bain beaucoup de choses. Et d’abord sa crasse et celle de sa bouche. Nous sommes tellement anesthésiés par l’eau bouillante que je dois confesser qu’on n ‘en a pas grand-chose à faire… Mais ce que tout le monde trouve bizarre c’est que nous justement eh bien… on infuse comme des sachets de thé sans procéder à des ablutions. Étranges occidentaux… Pas bien propres!
Je passe bien une demi-heure au bord du bassin en suppliant le soleil de me sécher sur place vu que je ne dispose que d’une mini serviette de 20 centimètres sur 20. Rien ne va me couvrir au moment fatidique. Dieu merci Fred est changé (toujours plus facile pour les homme…), je réquisitionne donc sa polaire et je me lance. Qui a vu, qui n’a pas vu… Je m’en fiche et n’en sais rien, moi je n’ai fixé que mes pieds… Rouge de chaud ou de gêne?
A défaut d’être propres nous sommes tellement relaxés que de retour à la gargote pour une boisson fraîche nous sombrons dans le sommeil sur les bancs en bambou.

Voilà nos corps disposés à faire de nouvelles expériences de soins. En avant pour le massage birman alors! Comme il fait 10 degrés unr fois la nuit tombée on espère un peu naïvement qu’on se fera masser auprès d’un feu. Pas feu mais le massage se fait sur le vêtements. On ne finira donc pas bleus… Enfin pas de froid en tout cas. Et nous voilà partis pour une heure de massage en famille. Le père, la mère, la grand-mère, la tante, tout le monde est à l’œuvre, chacun sur son patient. Les enfants aussi sont de la partie à leur façon. Ils sont endormis à côté de nous. Il se trouve qu’on squatte l ‘estrade-lit familiale.

Intense pétrissage des chairs. Tous les points douloureux y passent. Même ceux dont on ne savait pas qu’ils l’étaient. C’est assez agréable. Arrive le moment crucial : le malaxage par les pieds du masseur debout sur le massé. Je suis un peu craintive. J’ai hérité de la mama aux formes plus que généreuses… Cela ne change rien. La voilà qui grimpe. Je serre les dents. Ma circulation se coupe. L’engourdissement gagne mes extrémités. Cela fait peut être partie du traitement? (Fred me dira que non, lui n’a pas eu arrêt de circulation…) Touche finale : un onguent maison qu’on nous enduit en passant la main sous les vêtements. Et la recommandation de ne pas prendre de douche ce soir. Zut, ça va faire trois jours. Tant pis, le monsieur dit qu’il faut éliminer les toxines. Et nous sommes si bien que la perspective de l’eau glacée pourrait à elle seule tout recontacter.

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