Notre première étape nous mène jusqu’à Tadlo dans une lumière déclinante et sans que l’on sache vraiment si l’on chasse ou si l’on fuit l’orage qui s’annonce. Juste devant nous, horizon de notre route, un gros nuage emplit le ciel. Sa base bleue foncée tend à se confondre avec les couleurs du ciel de fin de journée et il semble coiffé d’un toupet blanc, chapeau de chou à la crème. Des éclats de lumière répétée viennent en illuminer l’un ou l’autre recoin, répercussions d’éclairs qui doivent déchirer le ciel de l’autre coté sans que l’on puisse les voir. Impression un peu étrange qu’une force est à l’ouvrage, cachée dans ses replis cotonneux… Héphaistos est-il occupé à jouer du marteau et de l’enclume ? Nous fuyons sa violence qui annonce des trombes d’eau mais sitot les affaires déposées à l’abri,nous le pisterons pour nous repaitre du spectacle saisissant qu’il nous offre. Tonnerre vrombissant, roulement de tambour, éclairs fantastiques marbrant la nuit naissante… mais point d’eau pour nous, l’orage passera en nous évitant.
A plusieurs kilomètres de là, la beauté de la cascade de Tat Suong justifie la difficulté à la trouver. Elle est vertigineuse quoique réduite à deux minces filets d’eau. Chutant d’une falaise verticale d’une centaine de mètres, ceux-ci semblent prendre leur envol avant de tomber au ralentis en une pluie scintillante. Nous sommes au-dessus de l’à-pic et nous approchons du bord à plat ventre, la vue est dégagée et le vide saisissant : la falaise semble avoir été coupée net. Pour couronner le tout, la force du vent détourne pour nous des centaines de goutelettes qui remontent vers nous pour nous rafraichir.
La plus belle chute sera pour le lendemain lorsque, pour rejoindre Pakson, nous nous enfoncerons dans la foret sur une petite piste rouge, suivant ainsi sur 70 kilometres les caprices du dénivelé sur fond de montagnes bleutées. Quelques dizaines de mètres à pieds en s’éloignant de la piste sur un petit sentier caché, une trouée dans la végétation et Katamtok apparait. Les cascades ont choisi comme décor un magnifique écrin naturel : des falaises abruptes formant un cirque rocheux font chuter un cours d’eau sur une centaine de mètres. Rideau argenté, draperies liquides et mouvantes dans un bruit de tonnerre, de vents violents, d’orage. Les goutelettes me semblent devenir myriade de comètes à la queue blanche et vaporeuse : pluie de comètes sur la jungle. En contrebas un bassin arrondi les recueille dans un halot de brume comme une grosse marmite dans laquelle, sous l’action de quelque sorcellerie naturelle, l’ajout d’un nouvel ingrédient dégage une fumée annonciatrice de magie.
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quelle magnificence, bravo Fred, tu as su capter cette lumière celeste!