C’est d’abord un soupçon de bleu profond puis de turquoise et d’indigo. Voilà l’orange qui rosit et rougit aux extrémités. Une pincée de jaune s’invite. Saupoudrée de violet. Un arc-en-ciel chromatique au-dessus de quelques montagnes en face de nous, comme un tableau délimité par des nuages, une scène de théâtre de wayang kulit. Les voilà d’ailleurs les marionnettes… Les nuages s’amassent pour former des personnages hallucinants aux formes grotesques et monstrueuses, aux contours ouvragés et complexes. Ils jouent une scène. La scène d’ouverture…

 

Un chemin semé d’embûches

Suspendus au-dessus du paysage, suspendus dans le temps, nous vivons peut-être le lever de soleil de notre vie. Il a fallu aller le chercher ! Peut-être en a-t-il encore plus de prix ? Parce que le lever du soleil à Bromo, ça ne démarre pas aux aurores… ça commence quelques jours avant… A Malang.

Il est des lieux en effet où il est bien difficile de tracer sa route. Accéder au Bromo par nos propres moyens a relevé du parcours du combattant. Il faut dire que partout sont vendus des packages tout compris. Alors pour sortir du circuit il faut se dépatouiller.

Et les difficultés commencent à la prise de renseignement.
« Cette route est fermée », « si vous voulez y aller en moto vous devrez la laisser dans tel village et emprunter un transport local », « vous n’y arriverez pas il faut une jeep », « c’est la saison des pluies, la route est mauvaise »…

Les infos se croisent et ne se ressemblent pas. La vérité est quelque part mais où ? Nous décidons de tenter le coup à moto en prenant la route la plus longue et la plus sûre. Et si l’on est contraint à un endroit du parcours de mettre béquille à terre et bien soit !

Après des tentatives de chemin de traverse, des escortes par des ados soucieux de nous mettre sur la bonne route, des bavardages au warung, de la pluie, des stands d’offrandes à jeter dans le cratère, des marchands de légumes, des plantations d’oignons et un bon dénivelé, nous arrivons sans encombre et contre toute attente à Cemoro Lawang au bord du cratère Tengger. Une brume épaisse nous voile la majeure partie de paysage. Ce qu’elle laisse à notre vue est déjà stupéfiant : un petit volcan esseulé au milieu d’une mer de sable encaissée par d’immenses falaises…

 

En direct du viewpoint Gunung Penanjakan

En fait il n’était pas esseulé ce petit volcan. Il en a deux autres juste derrière. Nous le découvrons du view point officiel pour voir naître le jour au sommet du Gunung Penanjakan.

Tout un circuit pour arriver là. Un bout de chemin à moto, ou plutôt des bouts de chemin vu qu’à deux heures du matin il n’est pas évident de prendre la bonne route… quarante-cinq minute de dénivelé à la frontale… Puis la cohue pour se frayer un chemin entre des dizaines de jeep et d’échoppes (maïs grillé, souvenirs, cafés, fleurs, location de pulls…). Une large esplanade bétonnée couronne nos efforts. Enfin presque.

Des grappes de visiteurs ont déjà escaladé les barrières pour se percher le plus en hauteur possible. A part une myriade de fesses on ne voit pas grand-chose. Un petit repérage nous permet de trouver un coin de grillage disponible. Nous sommes vite des centaines au rendez-vous.
Les premiers rayons sortis un mouvement de foule démarre : la multitude est devenue une mer dont les vagues viennent cogner contre les barrières. Nous nous y accrochons avec le désespoir de naufragés.

N’ayant pas la contenance d’un appareil photo dans les mains, je suis donc assez rapidement invitée à me pousser pour laisser une toile de fond aux clichés des autres. J’obtempère, à chacun son bout de spectacle. Nous sommes tout simplement trop nombreux ! Bourrades, agitation, marées… pour quelques minutes de jour naissant… Au temps pour la contemplation rêveuse !

La déception est trop forte… Bromo nous n’avons pas dit notre dernier mot !

 

Plage et fumée

Mais le soleil ne se lève qu’une fois par jour ! Nous nous offrons une virée dans une autre mer, de sable cette fois. Ce qui devait relever du défi – selon nos informateurs anti-moto – c’est-à-dire rouler sur le sable en saison des pluies, se révèle en fait d’une facilité surprenante. Bien plus, le sable mouillé et compacté nous fait aisément adhérer au sol.

 

Nous voilà au milieu d’une cour de récréation, d’un terrain de jeu immense ! Et nous prenons un plaisir incroyable à rouler et tourner dans tous les sens dans un paysage surréaliste… Volcans, falaises, verts, marrons, jaunes… Nous voilà au commencement du monde dans un décor faramineux ! On s’attendrait presque à voir surgir quelques créatures préhistoriques… L’évaporation de l’humidité fait fumer le sable. Nous voilà grains parmi des milliards d’entre eux.

 

Les parois du Bromo fument aussi. D’évaporation et de souffre. Autour d’un gigantesque gouffre – 800 m de diamètre et 200 m de profondeur – aux pentes raides un liseré de chemin incite à affronter le vertige et à se croire les maîtres du monde.

 

La pluie et le brouillard nous enlèvent bien vite nos fantasmes de toute-puissance, c’est bien la nature qui règne en maître ici. Nous sommes tout au plus d’heureux spectateurs de son œuvre. Des passants. Qui ne laisseront que des empreintes bien vite balayées. Les gens du coin le savent bien. Les hommes ici ne commandent rien. Ils racontent, offrent, prient.

Ils racontent que le cratère du Tengger a été creusé avec une moitié de noix de coco par un ogre amoureux. Ils racontent qu’en des temps lointains le dieu-volcan délivra un couple royal de sa stérilité en échange de la vie d’un de leurs enfants. Qui se jeta de lui-même dans le cratère pour apaiser le dieu qui menaçait toute sa famille. En mémoire de quoi les tengger hindous d’aujourd’hui offrent poulet, argent, légumes, fleurs… au volcan en les jetant dans sa gueule immense lors d’une cérémonie annuelle.

Et les hommes prient. Honorent. Bâtissent.
Ainsi un petit temple s’en fait-il l’écho et le témoin aux pieds des géants.

 

La revanche

Mais nous voici devant un tableau aux couleurs changeantes. Nous en étions à la scène d’ouverture… Voilà le rôle principal : la lumière !
A peine naissante, la voilà qui accouche déjà… des volcans, des montagnes, du paysage !

Les arrêtes plissées des reliefs sont les premières à se dessiner, les premières à absorber les rayons et à renvoyer un écho à la maîtresse d’œuvre. La mer de sable est un tapis blanc et lumineux, une toile d’araignée immense et dense dont les gouttes de rosée, prisonnières, brillent au petit matin. Le voile peu à peu se déchire. Une partie part à l’assaut des falaises pour créer une vague immense capable d’escalader leur relief. Une autre se mêle à la cheminée industrieuse du Bromo qui fume sans discontinuer.

Sur le côté des montagnes bleues laissent leur silhouette se découper. Leur pied noyé dans le brume. Toile de fond devant laquelle un volcan esseulé joue les premiers plans. A nos pieds Cemoro Lawang et ses multiples cultures qui organisent si géométriquement l’espace, palette de peintre où tous les marrons et tous les verts semblent prêts à être utilisés. Des bosquets mettent leur grain de sel pour désordonner les lignes droites. La brume lourde, rase, sillonne entre les troncs. On la voit danser comme de la fumée. Elle sert de tapis aux ombres projetée par les arbres créant ainsi des stries sur tout le plateau.

Vision originelle et irréelle que cette naissance de paysage. Instant suspendu, court et long ; temps élastique, comme il l’est toujours en Indonésie, volé à l’éternité.

Ce moment sublime, cet instant précieux, nous les devons à une belle rencontre. Celle de Mariono. Rencontré en redescendant de notre viewpoint surpeuplé. Il est là, tout seul, perché sur un petit promontoire qui embrasse une vue à 180°.
Avec un petit feu de camp. Il vient tous les jours accueillir le soleil ici, qu’il pleuve ou qu’il vente. Toute l’année. Pour vendre un peu de café et de nouilles chaudes à qui passera par là. C’est ici avec lui que nous sommes venus applaudir ce spectacle.

Des bancs de bambous avaient surgi des fourrés. En guise de gamelan des oiseaux, le chant des coqs au lointain, le crépitement du feu de Mariono et le froufrou de conversations chucotées avec d’autres tengger venus finir leur matinée de travail…

Aujourd’hui il nous semble pompeusement que le jour ne s’est levé que pour nous.

 

La magie nous accompagne encore un bon moment tandis que nous roulons dans la mer de sable, empruntant la fameuse route dite « fermée ».

Les proportions sont si grandes qu’on a l’impression de faire du surplace, de ne pas progresser dans ce tableau titanesque. Sorti de nulle part un cow-boy solitaire, enroulé dans un sarong, nous salue en tirant sur sa clope avant de partir galoper dans l’immensité. Après quelques kilomètres nous quittons le cratère gigantesque pour rejoindre une crête qui nous fait jouer les funambules avec du vide de chaque côté.

Puis c’est la longue descente et la jungle avec son odeur de terre et de bois. Dernière inspiration profonde. Et retour à Malang où les rues encombrées nous forcent bien malgré nous à redescendre un peu sur terre…

 

Le viewpoint « Mariono »

Vous retrouverez des conseils pour vous y rendre dans les commentaires.

 

Eve & Fred

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  • Pour ceux que cela intéresse, notre parcours :
    Location moto 125cc à Malang
    Direction nord jusqu’à Keyjayan
    Puis Est sur petites routes jusqu’à Sukapura
    Enfin Sud jusqu’au village de Cemoro Lawang avec de nombreuses guest house pour passer la nuit

    Que vous fassiez la montée à pied, en jeep ou en moto ne pas aller jusqu’en haut de la route du point de vue. Pour éviter la foule, descendre 10 minutes et prendre le petit chemin de terre qui part à droite de la route (lorsqu’on monte).
    Continuer sur une centaine de mètres et vous devriez commencer à sentir le café que Mariono prépare.

    Pour le retour nous avons traversé la mer de sable - attention quand même, nous étions en saison des pluies avec du sable humide sur lequel il est plus facile de conduire – pour aller de l’autre côté du cratère et remonter jusqu’au village d’Ngadas.
    Puis direction Malang avec de bons freins, ça descend sec.

  • bien que j'ai l'impression de me répéter, je ne peux qu'écrire SUPERBE.
    j'espère que Fred m'offrira quelques photos qui m'inspirent déjà pour la peinture.
    bisous

  • 125cc, on n'appelle pas ça une moto mais une mob, un scooter, ou une brêle...
    Cette petite faute rectifiée, permettez-moi de vous signifier tout le bonheur que je ressens à lire vos lignes et admirer vos photos !
    Et j'ai maintenant hâte de voir les chefs d’œuvre que la mère B. nous permettra de contempler :-)
    A très vite !
    Bises

  • Il y a une autre option pour le view point que celui encombré à Gunug Peanjakan. J'étais tombé dessus complètement par hasard en me promenant la veille. En partant de Cemoro Lawang, une fois au bord de la caldera, la route vire vers la droite. Il suffit de la suivre. La route se transforme en chemin puis en sentier parmi les hautes herbes. Mais il n'y a qu'un seul sentier, impossible de se perdre. Au bout d'une heure environ, on arrive à une plateforme bétonnée. On est en fait à mi-hauteur du Gunug Peanjakan. La vue est donc sensiblement différente, mais tout de même exceptionnelle. Mais surtout, il n'y a personne. J'entendais un peu en haut le bruit des jeeps, moi j'étais absolument seul pour profiter de ce spectacle il est vrai absolument sidérant.
    Curieusement, aucun guide papier ne semble parler de ce sentier. Le LP d'il y a longtemps parait-il, mais plus rien maintenant.

    • C’est également ce sentier que nous avons emprunté à pied. Nous sommes passés devant la plateforme dont tu parles, il me semble que c’est un viewpoint qui était très fréquenté avant la construction de celui qui attire les foules aujourd’hui. Il est du coup désormais délaissé et donc propice à un lever de soleil contemplatif et serein. En continuant sur ce même sentier on tombe sur Mariono et son café sur un petit promontoire.
      Quelle que soit l’option choisie, il nous est apparu qu’il était vraiment préférable de privilégier un coin moins peuplé.

      Il faut compter environ 1h pour le 1er viewpoint (en béton) 45 min de montée pour rejoindre Mariono et encore 20 minutes pour le sommet du Gunung Penanjakan

      • Bonjour,

        Photos magnifiques!!!Pour aller au point de vue indiqué (à la rencontre de Marino) si on vient depuis le village Ceremo Lawang à pied, il faut compter 1h45de marche si je comprends bien. J'ai du mal à visualiser l'endroit dont vous parlé sur photo aérienne, il y a deux viewpoint signalés. On souhaiterai s'y rendre seul à pied. Il faut donc redescendre (1h45)et passer par Ceremo Lawang pour aller au sommet du cratère du Mont Bromo (1h) ?
        Merci

        • Bonjour Mélanie,
          Depuis Ceremo Lawang, qui est le point de départ obligatoire, tu prends le sentier qui va te faire passer à côté du Viewpoint 1, tu trouveras le lieu dont on parle avant d'arriver à la route, bien avant le Viewpoint 2.
          Je crois qu'il faut 45 min environ si le lever matinal ne t'a pas trop engourdi les pattes :)
          J'ai ajouté une carte en bas de l'article sur ce qui semble ressembler à l'endroit.

          Par contre il ne s’agit pas du cratère mais du point de vue vers le cratère, la photo que tu vois partout quoi. Tu peux aller au cratère à pied par la « mer de sable » si tu es motivé, compte 5km environ du viewpoint.

          Profite bien et dit bonjour à Mariono si tu le croise !

          • Merci je le ferai si je le croise. Les 45min sont à partir du viewpoint1 et Non depuis ceremolawamg?

          • 45 min depuis le village oui. Sur place vous pourrez préciser en fonction d'où vous vous trouvez précisément

          • ce que je ne comprends pas c'est que vous disiez :
            "Il faut compter environ 1h pour le 1er viewpoint (en béton) 45 min de montée pour rejoindre Mariono et encore 20 minutes pour le sommet du Gunung Penanjakan"

            Et si j'ai bien compris le lieu dont vous parlez est entre le Viewpoint 1 (à 1h de marche) et le viewpoint 2.
            Ou cet endroit se situe avant le viewpoint 1, ce que je comprendrai plus, au vu du temps que vous m' indiquez

            Merci pour ces informations précieuses

          • Oui vous avez bien compris.
            Je me base sur l'article (ça date un peu tout ça), tout dépend d'où on part dans le village. Pour l'ascension depuis le début du sentier qui est très facile à trouver il faut compter 45 min / 1h.
            Mais tu auras tout le loisir d’affiner tout ça sur place :)

    • Ah ... bah j'ai joué au feignant, je n'ai pas poussé plus haut que la première plateforme :-( J'ai bien vu que le sentier continuait, mais la vue était trop belle, j'ai posé mon séant !

  • Bonjour,
    Bravo pour les textes et les photos. Connaissez-vous le Rendez-vous du Carnet de Voyage à Clermont-Ferrand (63) ? Vous pourriez sans doute postuler pour exposer. Dans son domaine, c'est l'une des premières manifestations du genre en France.
    Je vous conseille de visiter le site http://www.rendezvous-carnetdevoyage.com/ où vous découvrirez ce dont il s'agit et les modalités pour y participer.

    • Oui on connait bien, mais malheureusement nous n'avons jamais pu nous rendre au festival, cela fait plusieurs années qu’on voyage à cette période. Mais on va bien finir par y arriver :)

  • magnifique comme toujours, merci du partage, bonne continuation on attend la Thailande avec impatience bises Fabienne

  • Quand j'y suis allée le sommet était fermé car il y avait eut des éboulements, du coup tout le monde optait pour la second alternative dont vous parlez... mais comme il fallait pas mal marcher les gens étaient bien étales tout le long de la montée et je n'ai pas du tout connu cette foule!
    Très belles photos encore une fois

  • J'adore la photo bleutée juste en dessous du titre "en direct du viewpoint...". Quand j'y ai assisté, nous avons mis assez peu de temps pour rejoindre le Penanjakan. Par contre, on est retournées se coucher quelques heures après parce que le périple fut très long ! Nos amis de Borobudur nous ont déjà amenées jusqu'a Yogya en voiture, puis train jusqu'à... heu là j'ai oublié, c'était en 2007 ! Arrivée au beau milieu de la nuit. Plutôt que de chercher une guesthouse et perdre toute une journée, nous avons négocié avec un taxi le trajet jusqu'au village le plus proche du Penanjakan. Très long trajet de nuit avec deux inconnus, un peu flippant mais au final ils étaient très gentils. Bon, ils ont bien essayé de demander s'ils pouvaient rester dormir à la guesthouse où ils nous ont déposées, mais sans insistance. Un des nombreux jeunes dormant par terre dans la partie restau de la guesthouse nous a conduit à notre chambre. Installation et départ quelques instants plus tard pour négocier une jeep. Nous ne sommes parties qu'à 2 pour ne pas avoir à attendre le remplissage et être tributaire des autres pour la descente. Et nous avons eu beaucoup de chance car il y avait du monde mais ça allait pour voir. Je me suis installée à l'opposée des autres, côté Bromo, et j'ai été aux premières loges pour assister à ce fabuleux spectacle de la nature. Nous avons dû être les dernières à redescendre pour rejoindre le Bromo, tant le lieu était calme et apaisant. Après l'ascension du Bromo, nous nous sommes effondrées sur nos lits, avant de faire une jolie balade aux environs. On ne nous a fait payer qu'une nuit à cause de notre arrivée très tardive. Comme à peu près partout en Indonésie, tout le monde a été adorable et serviable...

  • Même si le décor aide, on peut dire que vous avez un sacré talent en photo (même un peu trop, elles feraient presque de l´ombre au texte ;))

  • Etant voyageurs nous même , je suis tombée indéniablement sous le charme de vos écris et de vos photos, n'arrêté pas de nous faire rêver. je pense que d'ici peu notre prochaine destination au long cour sera l'Asie. Ne changez rien vous êtes parfait, le monde et ses merveilles s'offrent à vous sans retenue.
    amitié les baroudeurs.

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Eve & Fred