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Escapade à Chi Pat

Nous décidons, pour ce deuxième mois au Cambodge, de sortir le plus possible des sentiers tracés, à cet égard, notre arrivée à Andoung Teuk nous confirme que nous sommes sur la bonne voie. Nous sommes en effet les seuls à y descendre du bus et nous trouvons sans peine un abri dans l’unique guesthouse déserte de la ville. Un pêcheur accepte de nous emmener à Chi Pat, un village situé à 21 kilomètre en amont de la Preak Piphot, et le rendez-vous est pris pour le lendemain matin. Il nous faut à peu près deux heures en barque à moteur pour rallier notre objectif. Bien qu’il ne soit que 9heures du matin, le soleil tape déjà fort et Fred et moi trouvons refuge sous un parapluie pour nous soustraire un peu à ses rayons mordants. La ballade sur la rivière est idyllique : nous sommes cernés de part et d’autre par la mangrove sur laquelle s’installe, pour quelques instants, un arc-en-ciel ; plus loin, un rapace immense pêche une belle pièce et il nous tiendra un moment compagnie, volant au-dessus de nos têtes en « serrant » son butin, avant de disparaître dans les hauts feuillages ; des pêcheurs lancent leurs filets et les enfants des maisons isolées qui bordent la rivière s’en vont à l’école en ramant.

Arrivés à destination, nous nous rendons au bureau du réseau cambodgien d’écotourisme communautaire. Celui-ci gère les excursions proposées aux visiteurs mais aussi les logements, attribuant aux nouveaux venus leur guesthouse, de manière à ce que tous profitent du développement touristique; le projet mis en place par ce réseau a pour objectif de permettre à la population de tirer parti des ressources de la forêt environnante en la préservant, et non plus en l’abîmant par une exploitation irraisonnée : les braconniers sont ainsi devenus guides. Notre guesthouse est située à quelques kilomètres de là aussi des vélos sont-ils mis à notre disposition pour la rallier. Nous découvrons alors le village en pédalant vers notre abri, maisons de bois alignées le long d’une piste bordée de cocotiers et de palmiers ; ocres, verts, bruns se complètent harmonieusement. Nous mettons à profit notre après-midi pour parcourir Chi Pat et nous baigner près d’une petite cascade avant d’engloutir un dîner pantagruélique, mitonné avec soin par une adorable grand-mère souriante et attentionnée au restaurant du bureau d’écotourisme.

Au matin suivant nous retrouvons un guide pour un trek en forêt. Malheureusement une pluie torrentielle se joint à nous ce qui rend la marche moins aisée, tant parce que nous sommes engoncés dans des k-ways détrempés et collants que parce qu’elle place d’innombrables sangsues sur notre route. En revanche, elle embellit la forêt qui bruisse doucement sous l’ondée, fait briller les feuillages et ressortir les odeurs d’humus humide. Notre sortie pour observer la vie sauvage se révèlera être, à cet égard, un échec : pas le début d’une plume, pas l’ombre d’un pelage. Malgré le spectacle végétal environnant, je marche davantage la tête baissée que le nez en l’air, à l’affût des sangsues que je distingue sur les feuilles au sol, une extrémité en l’air dodelinant doucement en attendant la chaussure de passage, comme des têtes chercheuses guettant le festin. Quelques soient nos efforts, rien à faire, les bestioles parviennent toujours à s’agripper ; une démangeaison et c’est le signe qu’elles ont planté leurs crocs, sorti leur dard et commencé à pomper. Fred se retrouve le pantalon en sang : l’une d’entre elles ayant bu tout son soûl s’est détachée, laissant une plaie minuscule mais qui saigne abondamment (ce qui est dû aux anticoagulants injectés par le mollusque). J’ai beau savoir que les sangsues sont inoffensives et même utilisées par la médecine traditionnelle, je ne parviens pas à me faire à leur baiser sanguinolent. Dix-huit kilomètres et une vingtaine de sangsues plus tard, alors que nous avons quitté la forêt depuis un moment déjà et suivons une route boueuse, l’inavouable se produit : un camion passe à côté de nous et notre guide nous propose de raccourcir notre trek, ni vu ni connu, d’une poignée de kilomètres. J’avoue qu’ainsi fut fait… Nous nous sécherons en dégustant une soupe de nouilles instantanées devant deux télés qui diffusent deux films de kung-fu différents en compagnie d’une bonne moitié du village.

Le lendemain nous réembarquons dans un bateau à destination d’ Andoung Teuk où nous retrouvons notre guesthouse toujours aussi désertée.

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