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Les aventures de Kiri et Touit-touit au Cambodge

Sitôt les nouveaux arrivants récupérés à l’aéroport de Phnom Penh nous mettons le cap sur les plages de Sihanoukville, histoire de colorer un peu un Dodo et une Bibi tout blancs au sortir de l’hiver français et de leur offrir un peu de chaleur dans ce monde de brutes. Nous mettons à profit le long trajet de bus pour leur octroyer des surnoms cambodgiens : Dodo sera Kiri en hommage aux provinces du Ratanakiri et du Mondolkiri, que nous avons décidé de laisser de côté pour nos 2 mois en contrée khmère faute de temps, et Bibi sera Touit-touit (« petit » en langue khmère).

Chapître 1 : sur les plages de Sihanoukville

La saison des pluies s’est immiscée dans les bagages de Kiri et touit-touit, et quand le ciel ne nous tombe pas sur la tête le soir venu, les orages et les éclairs qui marbrent l’encre de la nuit offrent un spectacle hallucinant sur l’océan : pulsations lumineuses dans les nuages et hachures incandescentes au-dessus des eaux. Quand les cieux sont cléments, nous paressons sur la plage et nous régalons de grillades au poivre de Kampot. Mais farniente n’est pas synonyme d’inactivité, j’en veux pour preuve la course poursuite le long de la plage pour récupérer le sac contenant l’appareil photo de Fred , arraché des mains de Binouche tandis qu’en pleine conversation nous nous étions laissées distancées par les mâles. Me lançant à la poursuite du malandrin en lui servant tout le panel d’injures qui m’est venu à l’esprit –oubliant qu’en français celles-ci devaient avoir un moindre impact psychologique- je n’ai eu de meilleur réflexe, une fois l’auteur du larcin rattrapé alors qu’il escaladait un mur, que le frapper avec mes tongues (ce qui ne l’a ni effrayé ni ralenti). Dodo, heureusement plus pugnace que moi, prit le relais et revint victorieux ; le passage en revue des troupes n’est toutefois pas brillant : Fred s’est ouvert le pied dans la course poursuite, l’appareil photo a été sauvé mais ne s’en est pas sorti indemne et nous avons à peu près perdu toutes nos tongues dans des fougères. Une expédition en frontales et une mission pansage plus tard (tant de Fred que de son appareil) et nous voilà à peu près remis sur « pied ».

Nous décidons également de pousser notre nez dans les environs de Sihanoukville et, par la même occasion, d’initier Kiri et Touit-touit à notre conduite du deux-roues. Nous voilà donc partis pour le parc national de Ream où nous abandonnons nos montures pour un bateau, moyen plus propice pour la découverte de la mangrove. Nous finissons par accoster dans un village de pêcheurs qui étire ses petites maisons de bois le long d’une plage de sable fin à l’ombre des cocotiers. Vision paradisiaque que ce petit hameau les pieds dans l’eau, encadré par une végétation luxuriante. Suivant notre guide à travers la jungle odorante et participant, malgré nous, à l’écosystème local en rassasiant des bataillons de moustiques voraces, nous débouchons sur une plage isolée et déserte. Les eaux turquoises du Golfe de Siam qui viennent lécher un sable blanc pailleté d’éclats de nacre iridescents nous tend les bras; nous cédons rapidement à ces appâts séducteurs avant de devoir, bien trop vite, refaire notre périple en sens inverse.

Chapître 2 : Si Robinson m’était conté… Kiri et Touit-touit ou les limbes de la mer de Chine

Nous abandonnons la ville pour une escapade sur une des îles qui jalonnent le littoral de Sihanoukville. Notre embarcation, petit bateau de pêcheurs, mettra nos estomacs à rude épreuve et quand, enfin, nous parvenons à l’île de Kho Rong, la plage mettra un moment à s’immobiliser (tanguait-elle ou tanguions-nous? Telle est la question…). Quelques bungalows de bois sur une plage de sable fin, une eau turquoise, des cocotiers… désolée pour le stéréotypes mais des endroits comme cela il en existe pour de vrai! Premier devoir : accrocher le hamac (c’est l’une des premières choses que nous ayons appris à faire au Cambodge, le hamac y est presque monument national! A la fois berceau, fauteuil, lit, rangement, il s’achète pour 3 dollars au marché et se glisse aisément dans les sacs. Les pilotis des maisons lui offrent de quoi s’accrocher pour une sieste abritée du soleil brûlant du début d’après-midi : pas une seule maison en deux mois de voyage n’a fait exception à la règle! Il existe même, sur le bord de la route, de petits abris pour le repos destinés à tous : des pilotis, un toit et les hamacs font le reste…). A part une famille qui gère les bungalows et quatre autres visiteurs nous sommes seuls, autant dire que nous ne nous marchons pas sur les pieds. Notre retraite îlienne sera courte, malheureusement, mais je me demande si l’on se lasse un jour d’une vue comme celle-ci quand on a l’occasion de la contempler quotidiennement : devant soi une eau limpide aux reflets verts miroite et scintille sous un ciel d’un bleu profond; de part et d’autres de la petite baie, une longue plage s’étire pour ne devenir au loin qu’un fin liseré d’or qui tranche avec les nuances de vert d’une jungle exubérante qui a pris d’assaut les reliefs et tout l’espace disponible; des amis, un jeu de cartes, une coinche… Que demander de plus? Même lorsque la pluie vient crépiter sur les toits de palme l’endroit reste magique. La vue se bouche mais les couleurs restent intactes, aussi vives et nuancées que sous le ciel bleu, et le rideau de fines gouttelettes semble un brouillard qui flotte sur les eaux; impression que l’enveloppe ouateuse nimbe de mystère la mer et la jungle, instant propice à la naissance de légendes, aux apparitions magiques : brumes d’Ecosse sur lagon corallien.

Chapitre 3 : Touit-touit et Kiri à Kampot : sel, poivre et cité perdue.

Kampot sera la dernière escale de Touit-touit et de Kiri en terre khmère avant l’inéluctable retour. Une des premières journées est consacrée à l’exploration des environs de la jolie ville fluviale : nous voilà tous les quatre entassés dans un tuk tuk sympathique à la découverte de la campagne kampotienne. Nous retrouvons ces paysages de plaines étendues, de villages étirés le long de la piste rouge, de plantation et de palmiers à sucre. Un premier arrêt est marqué aux salines qui fournissent tout le pays : étendues d’eau salée aux reflets cuivrés et dorés et entrepôts emplis jusqu’au toit des précieux cristaux de sel qui serviront entre autre aux salaisons de poisson (une spécialité et un régal !). Nouveaux tours, détours et traversées de villages jusqu’aux abords d’une colline calcaire. Des enfants, qui nous ont vus arriver et nous ont suivis en courant ou en vélos, nous escortent, le long d’une courte promenade le long des rizières et des plantations d’herbes aromatiques, jusqu’à l’escalier qui gravit la colline et conduit à la grotte troglodyte de Phnom Chhnork. Nous nous laissons guider par le petit groupe surexcité qui entonne des chansonnettes et auquel je me mêle volontiers pour un petit concours de danse. Brève pause dans notre ascension pour embrasser la vue superbe sur les plaines environnantes avant de continuer jusqu’à la caverne. Celle-ci renferme un joyau : un temple de briques du VIIème siècle dédié à Shiva et dans lequel une stalactite fait office de lingua. Nos guides nous proposent de repartir en empruntant un boyau naturel dans lequel il faut se couler tant bien que mal dans l’obscurité. Les enfants sont prévenants : ils font circuler les frontales, annoncent les endroits glissants et veillent à ce que l’on ne se cogne pas dans les éléments rocheux saillants (ce qui ne m’empêche pas de m’assommer, ma faute !). Ils sont blagueurs aussi et tandis que je me fraye un chemin pieds nus, l’un d’eux, caché derrière un bloc, m’attrape le pied ; après avoir poussé un hurlement de terreur, j’arrête de chercher le serpent ou rat ou quelque bête terrifiante ou venimeuse que ce soit qui aurait fait le coup lorsqu’éclate le rire sonore du farceur. Nous repartons avec une grappe d’enfants accrochés à notre carrosse, diminuant à mesure que nous approchons des dernières maisons du village. Avec de grands gestes de la main nous nous éloignons pour rejoindre les plantations d’un des meilleurs poivres du monde. Nous nous arrêtons chez des producteurs amis de notre chauffeur qui nous fait déambuler parmi les poivriers ; la visite finie, ceux-ci nous offrent des mangues et un petit moment de détente en leur compagnie. Nous rentrons à Kampot enchantés et le tuk tuk alourdi par quelques kilos de poivre blanc.

Le lendemain, un pick-up nous emmène au parc national du Bokor, parc qui aurait dû figurer au patrimoine mondial de l’humanité ; malheureusement, le braconnage et l’exploitation illégale du bois qui ont empêché les autorités de préserver le parc ont fait échouer ces démarches dans les années 1990. Nous commençons en voiture l’ascension du Phnom Bokor au sommet duquel se tient une ancienne station d’altitude française (1080m). Des projets sont en cours pour y construire un hôtel de luxe et les versants de la montagne sont actuellement en travaux d’aménagement. Tandis que notre véhicule suit les lacets de la route nous observons de nombreux travailleurs à l’œuvre. De l’espace a été gagné sur la jungle, les grands arbres et les fougères sont remplacées par des étendues gazonnées et des murets et le nouveau visage du lieu est saisissant de contraste et de laideur. Nous finissons l’ascension par un trek dans la jungle et parvenons miraculeusement à slalomer entre les sangsues. Notre guide nous fait suivre un petit sentier qui embaume, l’humidité des derniers jours accentuant les senteurs des essences tropicales. Arrivés au sommet nous n’avons pas de mal à comprendre les raisons qui ont présidé au choix de ce lieu pour y établir une station climatique : le fond de l’air y est très frais. Le temps couvert accroche des grappes de nuages aux monuments en ruine, chapelet brumeux qui occulte la vue et qui, tandis que nous progressons dans la station fantôme, achève de nous dépayser ; ne sommes-nous pas plutôt dans les landes irlandaises ? Drôle de promenade que celle qui nous fait naviguer d’une église abandonnée aux vestiges d’un palace désert. Brouillard, fraîcheur, brise, abandon, tous les éléments sont réunis pour donner une impression étrange et irréelle, spectrale et inquiétante, aux bâtiments déserts et délabrés. La descente dans la jungle est pavée d’embuches : sol glissant, pièges de lianes et sangsues voraces qui choisiront d’autres pieds que les nôtres et c’est tant mieux, mais une bonne surprise nous attend au pick-up. Le couvercle nuageux s’est levé et la vue sur la plaine et la côte en contrebas est à couper le souffle. Nous finissons notre journée par un petit tour en bateau sur le fleuve au bord duquel s’est installée Kampot, et tandis que nous glissons le long des maisons sur pilotis, le soleil couchant nous sort sa palette de couleurs pour peindre le ciel de nuances orange et roses.

Les aventures de Kiri et Touit-touit au Cambodge touchent à leur fin. Il faut déjà s’engouffrer dans le bus pour Phnom Penh et se séparer à l’aéroport. Leur avion met le cap sur la France, notre bus met le sien sur Andoeung Tuek.

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